Mike Figgis, cinéaste anglais ayant grandi jusqu’à l’âge de 8 ans au Kenya avant de s’installer avec ses parents à Newcastle a tout d’abord été un passionné de musique, jouant de la trompette et de la guitare dans un groupe puis du piano dans avec Brian Ferry. Peu après avoir goûté au théâtre, il se dirige vers le cinéma mettant en scène son premier long métrage en 1988 avec « Stormy Monday », film au budget modeste avec Tommy Lee Jones, Melanie Griffith, Sean Bean et Sting au générique qui s’avère être un petit film noir sur fond de corruption plutôt apprécié de la critique qui en salue la tonalité. Ce petit coup d’éclat lui vaut d’être immédiatement sollicité par la Paramount qui lui confie la réalisation d’« Affaires privées » avec Richard Gere en vedette qui est alors au sommet de sa popularité et Andy Garcia lui en pleine ascension. Ce thriller étouffant avec le charismatique Gere à contre-emploi en flic brutal et corrompu jusqu’à la moelle fait mouche au box-office. Figgis retrouve Richard Gere deux ans plus tard pour « Mr Jones » au moment où l’acteur commence à faire des mauvais choix qui vont sérieusement ralentir sa carrière. En 1994 pour son cinquième film, le réalisateur est de retour en Angleterre pour un remake des « Leçons de la vie » d’Anthony Asquith réalisé en 1951 avec Michael Redgrave dans le rôle du professeur d’université vacillant sur ses bases. Le film était déjà une adaptation de « La version de Browning », pièce de théâtre de Terence Rattigan parue en 1948. Le film est produit par Ridley Scott avec Albert Finney en lieu et place de Michael Redgrave. Dans un collège anglais réputé pour fils de gens fortunés, Andrew Crocker-Harris (Albert Finney) est un professeur de langues anciennes (grec et latin) très imprégné de sa mission d’instruire ceux qui seront les adultes de demain. La discipline est selon Crocker-Harris la méthode la plus sûre pour transmettre le savoir tout en inculquant aux élèves que rien ne s’obtient sans effort et rigueur. Humaniste en son for intérieur mais rigoriste d’apparence, le vieux professeur s’est bâti une réputation d’épouvantail au sein de la communauté étudiante tout comme au sein de celle des professeurs qui réprouvent à mots couverts ses méthodes déjà vues comme d’un autre temps. Alors que la direction veut réorienter sa politique éducative en laissant davantage de place aux matières directement pratiques comme les langues modernes, Crocker-Davis est doucement poussé vers la sortie. Un prétexte médical est évoqué censé sauver les apparences. Andrew Croker-Davis est visiblement un homme seul, rejeté par ses élèves, incompris de ses collègues et délaissé par sa jeune et ravissante épouse (Greta Saachi) qui le trompe avec un professeur de chimie (Matthew Modine). Cette période de crise amène cet homme de nature réservée à dresser un constat d’échec global tant sur le plan personnel que professionnel. Une crise qu’il semble traverser avec un certain stoïcisme sans doute hérité de la lecture des philosophes grecs que le professeur de langues anciennes vénère et tente de faire partager lors de ses cours au moyen de lectures enfiévrées. Mais la carcasse un peu fatiguée se fissure au fur et à mesure des événements déceptifs qui vont nourrir l’image négative qu’il a de lui-même. Seuls ses principes d’honneur et de droiture lui permettent de tenir. Comme Michael Redgrave 33 ans plus tôt, Albert Finney démontre que seul un acteur de son acabit est en capacité de rendre sans « surcharge », la souffrance contenue d’un homme voyant le sol se dérober sous ses pieds au moment où il est le plus fragile. Mais les ressorts de l’intrigue vont finalement récompenser les principes de toute une vie. Albert Finney ici parvenu à l’âge mûr (58 ans), tient sans doute l’un de ses plus beaux rôles , niché au sein d’une riche carrière commencée en fanfare sous la direction de Karel Reisz dans « Samedi soir, dimanche matin » en 1960 et qui aura très rarement vu ce grand acteur britannique céder à la facilité, parvenant à trouver des rôles à sa mesure jusqu’à la fin de son parcours. Le discours prononcé par Crocker-Davis à la conclusion du film résume parfaitement le rôle normalement dévolu à l’instruction de former des citoyens à la langue, à l’histoire, à la culture de leur pays et enfin à celle du monde pour pouvoir exercer par la suite leur libre conscience et participer tout en s’émancipant à la prolongation d’un destin commun. Celui d’une nation. En ce début de XXIème siècle, les préceptes énoncés par le vieux professeur depuis largement battus en brèche par les pédagogies expérimentales en tous genres parfois loufoques qui se sont succédé depuis les cinquante dernières années n’évoquent plus grand-chose quand ils ne sont pas moqués. On notera aux côtés d’un Albert Finney en apesanteur, la présence de la très belle et talentueuse Greta Saachi interprétant avec une dureté raffinée l’épouse implacable d’un homme en qui elle ne croît plus. Le film reconnu par la critique sera un échec financier arrivant sur les écrans au mauvais moment. De son côté Mike Figgis malgré le succès de « Leaving Las Vegas » verra sa cote et son crédit doucement d’étioler. Il avait peut-être déjà tout donné. Ceux qui veulent voir un grand acteur au travail peuvent goûter à ces « Leçons de la vie » qui ne seraient peut-être pas inutiles aujourd’hui.