Les évaporés
Le thriller psychologique de Kei Ishikawa est enfin arrivé sur les écrans de ma région, et encore, de manière plutôt confidentielle. Ces 120 minutes qui nous parle d’identité sont construites comme un envoûtant jeu de miroirs, déroutant, introspectif et d’une suprême élégance. Mais pourquoi don, encore une fois avoir changé le titre original Aru otoko - Un certain homme -, pour cet autre titre banal à pleurer. Rie découvre que son mari disparu n'est pas celui qu'il prétendait être. Elle engage un avocat pour connaître la véritable identité de celui qu'elle aimait. On est loin des polars à l’américaine. Ici, point de coups de feu, de bagarres ou de poursuites… tout est feutré, subtil et troublant… jusqu’à l’ultime plan.
Ce film traite du phénomène des « évaporés » au Japon, communément dénommés jōhatsu. Chaque année, on estime qu'environ cent mille personnes disparaissent volontairement au pays du Soleil-Levant, abandonnant leur famille et leurs proches derrière elles. Les raisons derrière ce désir de disparition sont nombreuses et diverses, il s'agit souvent d'un besoin de fuir un quotidien anxiogène, une situation familiale compliquée ou des dettes impossibles à éponger. Et ce phénomène est loin d’être nouveau. Adapté du « Goncourt » japonais, ce drame a reçu 8 récompenses aux Japan Academy Prize 2023, les César locaux. Au-delà du sujet central, le film dépeint des réalités sociales encore peu montrées au Japon, comme le personnage d’une mère célibataire qui se remarie ou encore le racisme envers les Coréens dans la société japonaise. Pour un 1er film, il y a là une vraie prise de risques. J’ignore si cette esthétique et cette vision très asiatiques plaisent en France, mais, ça vaut vraiment le détour.
Le casting est, en tous points, remarquable avec Satoshi Tsumabuki, Sakura Andô, Masataka Kubota, Akira Emoto… On se perd avec eux dans ce labyrinthe déstructuré, la lenteur générale n’empêchant nullement les rebondissements, qui se révèle être un faux thriller et une vraie méditation sur l'identité et l'héritage social. Reste qu’en refusant tout écart formel, Ishikawa, - qui me semble un cinéaste à suivre -, s’expose par moment à une certaine platitude qui frise la neurasthénie. On peut regretter sans doute, ce moment de vertige qu’on espère, mais en vain.