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Yves G.
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2,5
Publiée le 23 août 2023
Elena et Ivan, deux architectes barcelonais, décident de s’installer dans la vieille bicoque que la tante d’Elena leur a laissée à sa mort et d’exploiter le liège des cinq cents hectares qui l’entourent. Mais à ces néoruraux, pétris de bonnes intentions, la vie à la ferme réservera bien des surprises.
Le pitch que je viens d’en faire ne fait pas justice à ce film catalan, le troisième que j’ai vu en quelques jours à peine après Francesca et l’amour et "Les Tournesols sauvages". Car il laisse ouvert l’univers des possibles : à la comédie façon "La Soupe aux choux" ou "Camping à la ferme", ou au thriller façon "Les Chiens de paille" ou "As Bestas". Ce n’est dans aucune de ces directions-là que nous amène "Suro" dont le contenu est beaucoup plus politique, même s’il traite aussi de l’usure du couple. Il y est question d’écologie, des valeurs de gauche, des relations de classe, des conditions de vie des travailleurs immigrés….
La barque pourrait couler sous tant de sujets pesants, d’autant que le vent se lève et que l’incendie menace. Mais "Suro" tient fièrement le cap. Il s’en donne le temps : près de deux heures après un premier quart d’exposition très (trop ?) long. Finalement, le voyage en vaut la peine. Car les personnages, et notamment les deux héros, Elena et Ivan, évitent la caricature dans laquelle j’avais craint que le scénario les enferme. Et les questions qui se posent à eux peuvent sembler évidentes sur le papier ; mais le film montre intelligemment que leur solution ne va pas de soi : peut-on accepter que le contremaître qu’on a recruté emploie des travailleurs sans papiers ? doit-on accueillir chez soi celui de ses travailleurs qui se retrouve privé de logis ? quelle réaction si l’un d’entre eux est victime d’un accident du travail ?
Quand vous habitez en ville, il est facile de vivre selon ses idéaux. En commençant une nouvelle existence en pleine campagne, avec pour principal ressource l'exploitation de chênes-lièges, un couple de jeunes architectes va s'apercevoir que la dure réalité ne se plie pas si aisément à ses idées de justice et de tolérance. Suro, tourné principalement en catalan, est une chronique amère, à la combustion lente (trop peut-être) où les tensions sont à vif sous l'écorce. Le réalisateur, Mikel Gurrea, dont c'est le premier long-métrage, laisse une large place à la contemplation d'une nature qui n'est pas exempte de dangers et au travail ardu des "récolteurs" de liège (de vrais professionnels ont été engagés). Dans cette histoire, dans laquelle n'apparait aucune intention de démonstration, une crise couve, inéluctable, au sein même de ce couple confronté à des difficultés auxquelles rien ne les a préparé. Sans insister outre mesure, le film expose les vérités d'un monde soumis à un capitalisme sournois, à l'exploitation d'une main d’œuvre immigrée et à un racisme ordinaire. Avec la question de la morale de chacun et des compromis à accepter pour ne pas y contrevenir honteusement. Au même titre que Nos soleils et As Bestas, entre autres, Suro marque une nouvelle tendance du cinéma espagnol à se pencher sur la ruralité, sans chercher à en masquer les problèmes, bien au contraire.