Autour d’un marais insalubre, dans un lieu sombre où se projettent des ombres troubles sur des murs biaisés, «Yoidore Tenchi» (Japon, 1948) d’Akira Kurosawa réalise un conte fragile sur le pouvoir et sa délicate possession. Le scénario de Uekusa et Kurosawa laisse s’affronter un jeune gangster avec un médecin acariâtre. Pour entamer sa longue et prolifique relation d’acteur avec Kurosawa, Toshirô Mifune interprète un jeune yakuza atteint de tuberculose contraint, pour se soigner, de réduire son orgueil et de perdre du pouvoir. Tourmenté entre son envie de grandeur et le mal qui le ronge, le personnage de Matsunaga se trouve en proie à la division pratiquée entre la loi de la nature et l’honneur de l’homme. Dans ce questionnement qui éprend le personnage sot du yakuza, le médecin, au-devant sa rustrerie, se fait raison est défend la cause de la nature en voulant absolument soigner le jeune malfrat. Cette lutte du corps avec l’esprit, grande rengaine platonicienne, contraste avec l’abjection du lieu. Au fur et à mesure que le corps de Matsunaga se meurtrit, le marais bouillant devers la clinique du médecin se remplit de saletés et de ferrailles croupissantes. Le jeune yakuza que la piètre condition sociale a destiné à se faire gangster se déverse, par métaphore, lentement dans le tombeau d’une eau crasseuse. Les hommes bien souvent ivres, dans ce décor aux allures expressionnistes, se courbent ou se raidissent, s’affalent sur le sol dans une nonchalance effrénée. En rendant nécessaire l’entraide entre un médecin vertueux au tempérament brusque et un yakuza colérique, Kurosawa invite à la dynamique. Bien qu’il manque un troisième pôle stable pour pouvoir instaurer une véritable énergie, comme dans «Hakuchi», le film ne témoigne pas moins d’une lutte entre les maux du corps et ceux auxquels se contraint l’esprit pour satisfaire une soif de revanche. Mifune, d’ores et déjà, incarne le tigre kurosawaïen en traçant, à coups de fougue, les lignes de la fragilité.