Ce nouveau film d’Alexandre Sokourov, nous entraîne dans un univers « post mortem » en référence à la seconde guerre mondiale.
Sa forme cinématographique s’affranchit des codes, des genres et frontières, jusqu’à nous conduire au royaume des morts.
Ce chef-d’œuvre est principalement composé d' images d’archives réelles d’actualités ou documentaires, incrustées à l’aide de trucages et d’un subtil travail d’animation dans une trame fictionnelle qui se déroule dans un décor époustouflant.
Ce décor en noir et blanc, fait d’ombres et de lumières, à partir de dessins et gravures, entre autres de Piranèse, met en scène Staline, Hitler et Mussolini ; interprétant leurs propres rôles, ainsi que Churchill.
Deux personnages « secondaires », Napoléon et Jésus-Christ, vont partager dans de fugaces traversées, le même sort que ces protagonistes, à savoir l’attente. Attendre la sentence divine dont la puissance omnisciente entrebâille sporadiquement une immense porte, derrière laquelle sera décidé le sort de chacun… Le paradis ou l’enfer.
Mais que se passe-t-il au royaume des morts ? Nous restons dans cette antichambre du purgatoire où règne une atmosphère d’ennui et d’errance, imprégnée d'une odeur pestilentielle, évoquée de façon récurrente. Une monotonie angoissante où la nostalgie et l'espérance embuent les esprits de chacun dans l’attente de leur sort.
Pendant ce temps indéfini, qui semble infini, nous découvrons que ni la mort, ni dieu ne semblent avoir le pouvoir de remettre en question les trois dictateurs. Chacun, dans un jeu de miroir, où le pouvoir illusoire continue de les griser, va ressasser l’histoire et ses gloires obsessionnelles, avec des regrets ; parfois ceux de ne pas avoir pu faire pire.
La bande son peaufine ce très beau travail "expérimental" en faisant dialoguer tous ces personnages dans leur propre langue. Et comme nous sommes au royaume des morts... tous se comprennent. Les voix sont celles de comédiens. Les images, des archives réelles.
Le peuple est également présent dans l’espace clos de ce purgatoire. Il est représenté par d’immenses vagues déferlantes. Une masse informe, devant laquelle Staline, Hitler et Mussolini, retrouvent leurs forces égotiques.
Quelques figures spectrales se détachent de ce flux. Elles ont beau avoir désormais pleinement conscience du vrai visage de ces monstres, à qui elles ont confié leur destin, … Il est trop tard.
Cette magnifique fresque fictionnelle, s’empare du réel avec les vraies figures historiques, exhumées d'images d'archives familières, à nous donner l’illusion qu’un coin de ce rideau, qui sépare les vivants des morts, a été spécialement soulevé pour nous ; devenus les témoins d'une histoire particulière. Un peu comme si les parois qui séparent les mondes avaient été transpercées par l’œil transcendant de la caméra.
Ce film nous plonge dans le sombre abîme de l’humanité, enchaînée à sa nature grégaire et versatile qui immuablement l’entraine vers son destin sans horizon ; à en revenir aux mêmes erreurs et cécités. Un destin sans issue, à cependant faire de ce film une indéniable audace artistique réussie.