Vicenta B est le récit d’une crise existentielle, et pas de n’importe qui : d’une femme noire. Le réalisateur explique : "Cela peut sembler un détail mais dans la plupart des films, lorsque l’on voit des femmes noires ou caribéennes, leurs problèmes sont essentiellement matériels. Les crises mystiques, les problèmes de foi, les difficultés de communication, cela s’apparente surtout aux personnes de race blanche. Sauf que selon moi, ce sont des problèmes qui transcendent les origines ou les classes sociales. Et montrer ce trouble chez une femme noire de Cuba était l’une de mes envies premières".
Le film évoque l'émigration massive des jeunes pour l'Europe ou les États-Unis, qui représente un véritable problème de société à Cuba. "Il n’y a pas que les jeunes qui partent. tout le monde veut fuir cette crise. Quand un pays perd ses enfants mais essaie de construire, de créer, il y a quelque chose de contreproductif. C’est comme s’il mourrait à petit feu", affirme le réalisateur. Il y a ainsi de nombreuses mères seules sur l'île, comme Vicenta, qui ont vu leurs ancêtres animés par un rêve avant de voir qu'ils s'étaient trompés, et leurs enfants partir pour de nouveaux horizons. "Seules, toutes ces personnes qui ont le même âge que Vicenta se retrouvent dans les limbes, sans réels guides. Alors que font-elles ? Telle est la grande question de mon film", déclare Carlos Lechuga.
Très marqué par la trilogie de la foi d’Ingmar Bergman (composée des films À travers le miroir, Les communiants et Le silence), et par la crise de foi "au sens le plus large du terme" que Cuba traversait, Carlos Lechuga a eu envie de consacrer un film aux femmes importantes de sa vie. Il a commencé à concevoir un projet autour de sa grand-mère, Vicenta Rosa Rodríguez Benítez, qui avait un don de voyance, avec l'idée de "faire un film inspiré par le monde du silence de Dieu, mais au lieu de le faire depuis un pays nordique avec des actrices "bergmaniennes", j'avais envie de le transposer sous les Tropiques avec des femmes noires et métisses".
Le réalisateur tenait à donner une représentation des voyantes et médiums loin du folklore habituel. "De mon point de vue, le cinéma a souvent été incorrect dans ses représentations de sorcières, voyantes et autres cartomanciennes. À part le cas du personnage qu’interprète Corinne Marchand dans le film Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda, je n’ai pas le souvenir d’autres exemples qui soient exacts au cinéma. Les gens ont souvent, à tort, une image folklorique et superficielle des croyances afro-cubaines."