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    Il nous reste la colère
    Anecdotes, potins, actus, voire secrets inavouables autour de "Il nous reste la colère" et de son tournage !

    Naissance du projet

    Pendant plusieurs années, Jamila Jendari et Nicolas Beirnaert étaient actifs avec l’Université Populaire de Bordeaux en organisant et filmant des conférences. Les deux réalisateurs s'intéressaient déjà aux thèmes sociaux et politiques. En 2016, Jamila, qui travaillait à l’institut de sondage IPSOS, s’est mise activement en grève à l’occasion de la lutte contre la Loi Travail, dite El-Khomri. Ils se rappellent :

    "Nous filmions dans les cortèges et observions déjà un changement dans les manifestations. La répression était plus forte, certes, mais la critique des directions syndicales, notamment par les plus jeunes, était déjà perceptible. Nous nous demandions si c’était dû à une image dégradée par les médias, à des compromis qui n’avaient pas été acceptés ou à l’organisation proposée."

    "On s’est dit qu’il serait intéressant de filmer une équipe syndicale. On avait déjà croisé les syndicalistes de Ford en manifestation, on connaissait leur réputation, parce que quelques années plus tôt, à l’époque où Sarkozy déclarait que « quand il y a une grève plus personne ne s’en rend compte », ils avaient réussi à garder leur usine quand Arcelor, Continental ou PSA n’y étaient pas parvenus."

    "Alors que Nuit Debout battait son plein, nous avons eu l’occasion grâce à Xavier Ridon, un ami journaliste devenu co-producteur du film, de suivre les syndicalistes de l’usine Ford sur une de leurs actions aux 24h du Mans. On est partis avec un petit groupe militant et notre caméra, et on a sympathisé très vite. On a compris que si les Ford avaient gagné dix années plus tôt, l’affaire n’était en fait pas résolue."

    Quelle colère ?

    Le film s’intitule Il nous reste la colère. Pour Jamila Jendari et Nicolas Beirnaert, il s'agit d’une colère froide, celle de l’impuissance organisée des pouvoirs publics, qui se drapent d’indignation mais ne « peuvent » rien faire. Ils précisent :

    "C’est la colère issue des refus et des turpitudes administratives, des réunions à n’en plus finir, du découragement qui s’en suit pour les collègues et qui se retrouve dans la société. C’est une colère qui n’est pas explosive mais contenue, ravalée parce qu’il n’y a pas de rapport de force qui lui permettrait de réellement s’exprimer."

    Présence de Philippe Poutou

    La présence de Philippe Poutou est centrale dans le documentaire : "On avait vite des situations filmiques avec lui et c’était un excellent personnage pour élaborer le récit du film mais le piège aurait été qu’il prenne trop de place. Philippe est le meneur du groupe et celui qui parle aux médias, mais l’activité syndicale est un travail collectif."

    "On ne pouvait pas personnifier tous les membres de la CGT-Ford, mais ceux qui se sont imposés l’ont fait d’eux- mêmes, par leur charisme et leur position à la période sur laquelle le film se concentre, à savoir la dernière année de lutte et la recherche d’un repreneur. Pour nous, Gilles est un personnage extraordinaire en plus d’être une personne géniale."

    "Il est complémentaire de Philippe, par son expressivité, son caractère et sa position de secrétaire du CE. Vincent et Thierry ont aussi un certain franc-parler qui vient de temps en temps synthétiser les choses. Il était important d’établir les relations entre eux malgré la complexité de l’histoire et de sa temporalité", expliquent Jamila Jendari et Nicolas Beirnaert.

    Un parti pris

    Le seul moment où la caméra entre dans l’usine, c’est à la toute fin, quand elle est vidée de ses ouvriers ou démontée par les bulldozers. Jamila Jendari et Nicolas Beirnaert justifientce parti pris : "C’était une impossibilité technique dès le départ : l’intérieur de l’usine nous était inaccessible (en France, pour filmer dans une usine, il faut l’autorisation du préfet et de l’entreprise) et entrer clandestinement, en plus d’être compliqué, aurait pu nuire aux syndicalistes."

    "Filmer dans l’usine aurait aussi nécessité d’adopter un autre point de vue alors que ce qui nous intéressait c’était ce groupe humain des syndicalistes On a donc choisi de se concentrer sur le Comité d’Entreprise, dont l’espace appartient aux syndicats, dans lequel on pouvait entrer comme on voulait, et où nous avons passé beaucoup de temps. On aurait envisagé de filmer à l’intérieur si l’usine avait été occupée par exemple, parce que l’activité syndicale nous y aurait menés."

    Comique du désespoir

    Jamila Jendari et Nicolas Beirnaert montrent des moments assez ironiques notamment avec Teddy Riner (à l’époque ce dernier est un champion invaincu, incarnant une forme d’invincibilité qui correspond tout à fait au caractère inaccessible et intouchable de Ford qui l’a choisi comme égérie) :

    "C’est lors d’une action commune entre les syndicalistes de Ford et les Gilets Jaunes que nos personnages s’emparent de la pancarte à son effigie en faisant, malgré lui, un personnage dans la lutte. Ils vont prendre des photos un peu partout avec cette pancarte, la mettre dans l’usine, dans les couloirs de la direction, etc."

    "C’est une opération de communication créative, un peu désespérée pour médiatiser leur combat. On a appelé ça entre nous leur « comique du désespoir ». Mais c’est aussi une revanche car ils tiennent pour la première fois une représentation de Ford avec laquelle jouer", confient les cinéastes.

    Angle spécifique

    Les films d’usine existent depuis longtemps, et le film de fermeture d’usine est un genre en soi. Ce sont des témoignages importants sur des époques et des contextes politiques. Avec Il nous reste la colèreJamila Jendari et Nicolas Beirnaert ne voulaient pas faire un film « héroïsant », qui donnerait à voir des braves martyrs de la cause sociale pour les plaindre et parler aux mêmes 50 militants au poing levé. Les metteurs en scène justifient ce choix :

    "C’est une esthétique trop peu présente à nos yeux dans les milieux militants et bourgeois et qui contribue à les isoler. On préfère regarder ce qui n’a pas marché, ou qui ne marche plus, et que ce film soit l’occasion d’en discuter. On avait aussi envie de réaliser un film qui fasse ressentir un milieu humain, ouvrier, et porte le regard sur une réalité qui est moins spectaculaire mais bien plus fondamentale que des palettes en train de brûler sur un parking."

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