Corrosif
Ces 101 minutes ne sont peut-être pas les meilleures de la filmographie de Julie Delpy, mais elles restent un bon moment de comédie grinçante et humaniste.A Paimpont, l’harmonie règne : parmi les habitants, il y a Joëlle - l’institutrice donneuse de leçons, Anne – la propriétaire de la supérette portée sur l’apéro, Hervé – le plombier alsacien plus breton que les Bretons, ou encore Johnny – le garde-champêtre fan de… Johnny. Dans un grand élan de solidarité, ils acceptent avec enthousiasme de voter l’accueil de réfugiés ukrainiens. Sauf que les réfugiés qui débarquent ne sont pas ukrainiens… mais syriens ! Et certains, dans ce charmant petit village breton, ne voient pas l’arrivée de leurs nouveaux voisins d’un très bon œil. Alors, au bout du compte, c’est qui les barbares ? Le message est clair : l’humain est sur une mauvaise pente. Et avant de réussir à la remonter, il risque de passer beaucoup de temps.
Je préfère quand les choses sont un peu envoyées dans la gueule des gens… nous dit Mme Delpy. Et elle ne s’en prive pas. Certes, ces personnages sont un tantinet caricaturaux, mais c’est parfaitement assumé. C’est en grossissant parfois le trait – nous sommes dans une comédie, ne l’oublions pas -, que le message politique peut aussi frapper les esprits. Julie Delpy brasse large – peut-être trop large -, avec la problématique de l’accueil des migrants, les lourdeurs administratives, le racisme ordinaire, - dans toutes ses nuances -, et même, plus furtivement, le handicap. C’est vous dire qu’il y a du grain à moudre dans cette comédie virevoltante, très bien écrite, aux dialogues féroces et à la direction d’acteurs épatante. Un petit théâtre qui sait faire rire d’un drame humanitaire. Entre rires et gravité, ça se laisse regarder avec beaucoup de plaisir.
D’autant que le casting, emmené par Julie Delpy elle-même, s’en donne à cour joie. Il faut dire qu’en réunissant Sandrine Kiberlain, Laurent Lafitte, India Hair, Jean-Charles Clichet, Mathieu Demy, Marc Fraize, c’est du nanan ! Quant aux « syriens » Dalia Naous, Ziad Bakri, Farès Helou, Rita Hayek, ils sont parfaits de justesse et d’émotion. On ne peut passer sous silence le formidable et incontournable numéro du papa, Albert Delpy et les apparitions pleines de charme de Brigitte Roüan. Notre cinéaste sait éviter la farce pataude et prouve qu’on peut rire de bon cœur des choses graves. N’est-ce pas le meilleur moyen de les désamorcer ? Et on ne peut oublier l’ultime plan sur le camp de réfugiés de Zaatari, en Jordanie, qui s’étend à perte de vue.