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Yves G.
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1,5
Publiée le 7 décembre 2022
Yonathan Levy est allé à Auschwitz Birkenau. Il n’en est pas revenu avec les images vues et revues du porche d’entrée d’Auschwitz I (avec l’inscription Arbeit Macht Frei), du mirador d’Auschwitz et des rails de chemin de fer qui y mènent, de la cheminée d’une chambre à gaz ou des montagnes de lunettes conservées dans le musée et immortalisées par Alain Resnais dans son documentaire "Nuit et Brouillard". Yonathan Levy s’est intéressé aux touristes qui visitaient Auschwitz et à eux seuls. C’est eux qu’il filme et surtout c’est eux dont il enregistre les propos triviaux ou décalés.
Ce changement de focale était terriblement stimulant sur le papier. Il annonçait une sociologie des visiteurs d’Auschwitz : qui sont-ils ? qu’attendent-ils de cette visite ? Il annonçait surtout une analyse de leurs réactions : comment réagissent-ils à ce choc ?
Hélas, la première question n’est pas abordée. On ne saura rien du profil type d’un visiteur d’Auschwitz : de quel pays vient-il ? quel âge a-t-il ? pourquoi vient-il visiter Auschwitz : parce que l’un de ses membres de sa famille y a été tué ? parce qu’il s’intéresse à l’histoire de la Seconde Guerre mondiale ? parce qu’il passe des vacances dans la région ?
Quant à la seconde, la réponse qui y est donnée est vite décevante et répétitive. Les visiteurs d’Auschwitz – comme tous les visiteurs de n’importe quel musée au monde – sont moutonniers et bêtes. Pour en rajouter une louche, Yonathan Levy les a filmés en plein été, à une époque de l’année où leur nombre très élevé fait ressembler les couloirs du musée d’Auschwitz à ceux de la gare Saint-Lazare aux heures de grande affluence et où leur tenue débraillée, tongs et T-shirts, détonne dans un lieu aussi solennel. Le même contraste déplaisant aurait sauté aux yeux à Saint-Pierre de Rome ou sur l’île de Gorée.
Les bribes de dialogues qu’il a captées – mais qu’une mauvaise prise de son l’a obligé à post-synchroniser en studio – sont croustillantes, au point de constituer une collection de « perles » d’un goût parfois douteux. Les unes sont triviaux : « j’ai perdu mess clés » « il faudra faire du change » « j’ai renversé ma bouteille de Coca ». Les autres, franchement malaisantes, frisent le négationnisme : « pourquoi y a-t-il tant de photos si le lieu était top secret ? ». Tous laissent transpirer la déception de ne rien « voir » à Auschwitz, posant la question fondamentale : que va-t-on « voir » à Auschwitz ?
Bien entendu, il n’y a rien à dire à Auschwitz. La seule réaction appropriée est le silence et le recueillement voire le sanglot que ne peut contenir la jeune fille émue aux larmes filmée dans le dernier plan du film. Il était intelligent de clore le documentaire avec ce plan-là ; mais on peut interroger le choix, partisan, d’avoir filmé une jeune fille drapée dans un drapeau israélien comme si le chagrin suscité par la visite d’Auschwitz était l’apanage d’une seule nation.