Changer le sens des rivières
Jean-Pierre Améris fait partie de ces cinéastes qu’on ne place pas volontiers dans le haut du panier et pourtant beaucoup de ces films m’ont amusé, touché et franchement convaincu. On se souvient avec plaisir des Emotifs Anonymes, Marie Heurtin, Une famille à louer, Illettré, Profession du père et dernièrement, Les folies fermières. Cette nouvelle comédie est tout à fait dans la même ligne de qualité d’écriture et de mise en scène. Marie-Line, 20 ans, est une serveuse énergique et bruyante. Sa rencontre avec un juge bougon et déprimé qui l’engage comme chauffeur, va bouleverser sa vie. 103 minutes de cinéma populaire au vrai sens du terme, sensible, drôle, intelligent et sans l’ombre d’une vulgarité. Une très belle surprise.
Le sous-titre que j’ai choisi pour cette chronique – phrase empruntée à Alain Souchon dans sa chanson Les Yeux d’Ava Gardner -, n’est autre que le beau titre du roman de Muriel Magellan paru en 2019. Les personnages font, si l’on peut dire, partie de la famille d’Améris qui aime à nous parler de ceux qu’on appelle avec beaucoup de condescendance « les petites gens ». Petites peut-être, mais avec un cœur grand comme ça. Marie-Line, l’héroïne, n’a pas été épargnée par la vie, mais elle a en elle une pulsion de vie très forte, une vraie joie de vivre. Son duo avec le juge bougon, solitaire, mais lui aussi, à sa manière, marqué par la vie… ce duo évidemment mal assorti ne peut que faire des étincelles, nous amuser mais surtout nous émouvoir. Car il n’y a ici aucune caricature, mais un réalisme épatant qui veut lutter contre les clichés et le déterminisme social. Ce film est en quelque sorte un éloge de la rencontre, entre gravité et légèreté, charme et mélancolie… franchement, ne vous fiez pas à la bande annonce qui est niaise… ce film vaut beaucoup mieux.
Louane Emera, d’une sincérité et d’une générosité extraordinaires, crève de nouveau l’écran, ce qui n’était pas arrivé depuis 2014 et la célèbre Famille Bélier. Michel Blanc, quasiment sorti d’un dessin de Sempé, est irrésistible d’humour et d’émotion. Victor Belmondo s’en tire très bien mais que dire du magnifique Philippe Rebbot, qui, en quelques scènes, prouve, s’il en est encore besoin, qu’il est un grand acteur. Un petit coup de cœur personnel pour la magnifique chanson de Julien Clerc, Les Séparés, qu’on entend en partie seulement – hélas ! – durant ce très joli film dont j’espère de toutes mes forces qu’il trouvera son public… Faites-en partie.