J’avais très envie de voir ce film depuis plusieurs semaines. Même si, à force d’en subir des extraits et de regarder ou lire des interviews de Gad Elmaleh, il me semblait avoir tout compris du message qu’il voulait donner dans son « Reste un peu ».
C’est l’histoire de son rapport très personnel avec la Vierge Marie – lui, le célébrissime humoriste, le presque membre de la famille princière de Monaco, mais né dans une famille juive traditionaliste du Maroc – et des dégâts que cela peut provoquer dans tout son entourage… Le film est à base de vérités, mais il est scénarisé, dramatisé, enjolivé. Bref ce n’est pas un documentaire, ni une pure comédie, mais quelque chose de très personnel… Tout cela intrigue, mais on pourrait craindre d’être un peu gêné…
J’ai donc attendu que le film passe au cinéma municipal de ma petite commune de banlieue et j’en ai profité pour y inviter un ami juif, également déjà très au courant de cette histoire de « conversion de Gad » par divers médias juifs, notamment sur Internet, et pas trop à la gloire de notre fameux humoriste.
Eh bien ce dont on ne peut pas vraiment se douter en absorbant toute cette promotion journalistique (pas un hebdo ou un mensuel catho qui n’ait pas fait sa Une dessus), c’est qu’il s’agit d’un film parfaitement réussi, du début à la fin, où les images sont belles, les lumières travaillées, la musique originale parfaitement appropriée, les dialogues ciselés par un maître du « seul en scène ». On ne sait pas quoi dire du talent invraisemblable des acteurs. Surtout quand on constate que chaque personnage est en fait interprété par les personnes réelles de l’entourage de Gad. D’abord ses propres parents, David et Régine, sa sœur Judith, ses cousins, ses amis marocains, les amis chrétiens qui ont accompagné son authentique parcours spirituel et intellectuel. On sait que Gad a suivi sérieusement des cours aux Bernardins… Le curé de Sainte-Cécile à Boulogne-Billancourt joue son propre rôle, avec un naturel confondant ! Les rabbins Pierre-Henry Salfati et Delphine Horvilleur sont très bien aussi. Mais comment ont-ils tous pu accepter de prendre de tels risques. Les membres de la famille de Gad surtout qui, à chaque scène, souvent du plus haut comique, risqueraient de tomber dans le parfait ridicule, au risque de coller la honte à tous les juifs séfarades, et qui s’en sortent haut la main, se révélant touchants et aimables…
On retrouve beaucoup d’éléments dans ce film qui avaient déjà été traités admirablement dans « Le métis de Dieu », un récent biopic sur le cardinal Jean-Marie Lustiger. Le personnage du père ou celui de la sœur, on les retrouve presqu’à l’identique. Sauf qu’avec un héros comme Lustiger on était forcément dans le registre tragique… Ce téléfilm réalisé par Ilan Duran Cohen a été durement contesté par l’institut Lustiger et n’a pas eu beaucoup de succès. C’est qu’il y manquait le représentant de commerce hors pair que Gad sait être pour son propre travail. Le film sur Lustiger, qui mêlait pareillement faits réels et adaptations un peu romancées, avait pourtant de belles qualités et, là aussi, les acteurs étaient exceptionnels. Lustiger, on le trouve d’ailleurs en filigrane dans le film de Gad et un effet de suspens qui s’inscrit jusqu’à la presque dernière ligne du générique…
Bien sûr, ceux qui attendaient peut-être un grand témoignage missionnaire seront probablement un peu déçus. On pourra dire que l’humoriste en reste à une certaine superficialité. C’est aussi une élégance, qui nous évite la gêne qu’aurait pu provoquer une volonté de trop s’étaler ou, pire de vouloir convaincre, ce qui aurait à coup sûr débouché sur un navet. La sincérité de la démarche de Gad Elmaleh n’est pas contestable pour autant, mais il demeure au niveau de ce qu’il peut, à ce stade, mettre sur la place publique. Le reste est entre Dieu et lui. Il y a tous les éléments dans le film, qui expliquent pourquoi et comment, et qui nous renvoient à notre propre cheminement, à la suite ou non du Christ qui, seul, est « le chemin et la vérité », comme le rappelle « l’Évangile selon saint Gad », au risque de susciter le léger agacement de sœur Catherine (qui joue également très bien son propre rôle…).
Le film est dédié à Guy Moign, grand acteur professionnel, qui dans le rôle célinien du reclus Raymond, donne une part d’ombre qui leste l’histoire – il est décédé en avril dernier à 85 ans – et fait contraste avec le lumineux personnage d’Agnès, la jeune fille catho authentique et exemplaire. Les cathos se reconnaîtront bien aussi dans cette galerie de quelques personnages – jusqu’à l’enfant de chœur qui se presse le nez pendant que le curé cause – croqués avec tendresse par cet humoriste dont on sait qu’il est comme une éponge – on le lui a assez reproché – s’adaptant à tous les milieux d’un sourire ravageur, mais sans jamais perdre sa part de cruelle autodérison, secret de l’humour juif, part de mystère qui donne son sens à cette tendre comédie. Elle nous accompagnera longtemps dans nos réflexions.