Reality est le premier long métrage réalisé par Tina Satter, à qui l'on doit plusieurs pièces de théâtre. Le thriller, inspiré par l’histoire vraie de la lanceuse d’alerte et ex-salariée d’un sous-traitant de la NSA, Reality Winner, est aussi l'adaptation d'une pièce que la cinéaste avait mise en scène à Broadway, Is This A Room, en 2021. On y retrouve d’ailleurs les mêmes bégaiements, quintes de toux, malaises dans les échanges et moments censurés que dans le procès-verbal découvert par Tina Satter en 2017 :
"Dès que j’ai lu ce document, je me suis dit qu’il y avait là matière pour un film. D’un côté, c’est un document administratif du FBI, mais de l’autre, il s’en dégage une force étonnante. Il raconte le parcours de Reality et évoque ce moment qui a bouleversé sa vie. C’est un document fascinant parce qu’il révèle, littéralement, la manière dont les personnes concernées par cette affaire cherchent à communiquer. Je me suis dit que le film serait d’autant plus fort qu’on tenterait de restituer la réalité de ce qui s’est passé."
Suite à son interrogatoire et son arrestation, Reality Winner est incarcérée en 2017 à la prison de Lincoln County en Géorgie. L'année suivante, elle écope d'une peine de 5 ans de prison ferme pour "obtention de documents classifiés à partir d'une installation du gouvernement et transmission à un organe de presse", devenant la première personne condamnée en application de l'Espionage Act sous la présidence de Donald Trump. Reality est libérée en 2021 pour bonne conduite, après avoir passé plus de 4 ans derrière les barreaux.
Sydney Sweeney, vue dans les séries à succès The White Lotus, Euphoria et The Handmaid’s Tale, incarne Reality Winner, cette jeune femme qui se tient constamment sur ses gardes tout au long de l’interrogatoire musclé. La comédienne précise : "À mes yeux, Reality Winner est emblématique de la jeunesse américaine de 2017 et se révèle comme une somme de contradictions, à la fois physiquement et à travers ses actes". La réalisatrice poursuit :
"Sur le plan émotionnel, Sydney avait le sentiment de comprendre Reality – et j’ai vraiment senti qu’elle la comprenait, en effet. Elle s’était totalement investie dans le personnage. En découvrant le scénario, j’ai été fascinée par son étrangeté, sa drôlerie et son côté très sombre. Reality est pétrie de toutes sortes de contradictions intéressantes qui déjouent les préjugés qu’on peut avoir sur l’identité féminine, les anciens membres de l’armée et la génération Y."
Pour se préparer au rôle, Sydney Sweeney s’est plongée dans le procès-verbal, a étudié les intonations de Reality et s’est entretenue avec celle-ci via Zoom et SMS.
Tina Satter a collaboré avec le chef-opérateur Paul Yee pour élaborer le style visuel du film. La difficulté consistait à utiliser le langage du cinéma pour accentuer la tension et les émotions qui traversent Reality tout en rappelant au spectateur qu’il s’agit d’événements réels. "Je souhaitais vraiment qu’on découvre non seulement l’environnement de Reality, mais aussi qu’on saisisse, sur le plan visuel et sensoriel, les états d’âme de la jeune femme pendant qu’elle subissait cet interrogatoire", note la réalisatrice.
Pour pointer les moments surréalistes de l’interrogatoire, Tina Satter a utilisé des explosions de couleurs mettant en valeur les parties caviardées du document. Au cours d’une séquence particulièrement étrange où les agents du FBI évoquent le poids du chat de Reality, leur élocution est par ailleurs ralentie :
"Pour que le résultat soit cinématographique et captivant, il fallait ponctuer le film par des ruptures de ton, sinon ce ne serait qu’une longue conversation filmée. On voulait plonger dans les recoins secrets de l’interrogatoire et montrer des éléments qui ne figurent pas sur le document du FBI, même si, par moments, on en filme des extraits", explique la cinéaste.
Josh Hamilton, qui campe l’agent Garrick pilotant l’interrogatoire, avait vu la pièce de Tina Satter lorsqu’il s’est vu proposer le rôle. Il s’est préparé en étudiant des vidéos d’interrogatoires et en cherchant à mémoriser le moindre bégaiement, la moindre quinte de toux et la moindre hésitation du texte d’origine. L'acteur se rappelle :
"On n’a pas souvent, voire jamais, l’occasion de travailler une langue comme celle-ci. Il s’agit parfois d’une sorte de charabia ingénieux qu’aucun scénariste ne pourrait inventer. Et ces apartés en apparence inoffensifs étaient en réalité de redoutables techniques d’interrogatoire destinées à manipuler la personne interrogée."
Tina Satter est restée en contact avec les proches de la véritable Reality Winner pendant l’écriture de la pièce et du film. Depuis la sortie de prison de l'ex-lanceuse d'alerte en 2021, celle-ci et la réalisatrice communiquent régulièrement par Zoom : "Reality, sa mère Billie Winner-Davis et sa soeur Brittany Winner m’ont toujours encouragée dans ma démarche artistique dès le départ. Je leur dois énormément."
"Et comme l’intelligence et l’humour de Reality ressortent du procès-verbal – tout comme ses failles profondément humaines –, ma volonté de rester fidèle à ce portrait de Reality les a touchées et leur a plu. On pénètre dans la pièce d’un appartement, un samedi après-midi, dans l’Amérique de 2017. Je souhaite que le public découvre cette histoire car c’est passionnant de voir comment fonctionne le gouvernement."