Pour offrir au spectateur un thriller haletant, bien réalisé, et avec un vrai message de fond (un message très important), il n’est pas besoin de course poursuite, de fusillades, de tueurs machiavéliques ou de musique tonitruante. La réalisatrice Tina Satter propose un film qui (première bonne idée) se déroule en temps réel, soit à peine moins de 90 minutes. Entre le moment où Reality arrive devant chez elle
et le moment où elle en repart menottée
, il ne s’écoule qu’une heure et demie montre en main. Deuxième bonne idée, Tina Satter s’appuie en totalité sur le véritable enregistrement fait par le FBI (elle le propose même tel quel à plusieurs reprises, en audio ou en retranscrit), et rien que ça : pas de musique (ou très peu), le film se déroule dans le jardin et dans la maison et c’est tout. Tout est dépouillé : Reality est habillée sobrement, pas de maquillage, les policiers ont en civils, par d’arme bien en vue. Et ils parlent, ils ne font que parler avec Reality pendant que la perquisition suit son cours (on l’entend en bruit de fond). Troisième bonne idée,
à chaque fois qu’un élément sensible est évoqué, le personnage disparait quelque secondes. C’est l’équivalent filmé du noir que l’on appose sur les documents classifiés.
Cette petite idée de mise en scène de rien du tout permet de garder assez longtemps la vraie nature de ce que Reality a à avouer (car elle a quelque chose à avouer).
Comme cette jeune femme parle le farsi, qu’elle est habilitée « secret défense », qu’elle a quitté l’Air Force et qu’elle travaille désormais à la traduction « d’éléments graphiques iraniens » (probablement des cartes et des photos satellites), on pense logiquement à de l’espionnage au profit du Moyen-Orient on un truc de ce genre. Mais la vérité est tout autre
et c’est la mise en scène qui permet de conserver la tension nerveuse de ce huis-clos dont la tension va crescendo. Le casting est très petit, et on va passer rapidement sur les deux agents du FBI incarnés par Josh Hamilton et Marchant Davis, qui forme un duo de flics du FBI très éloigné des stéréotypes dont on a l’habitude, et ça aussi c’est à mettre au crédit du film. C’est Sydney Sweeney qui incarne Reality Winner (et qui lui ressemble beaucoup, car le film est parsemé de vraie photos issus de la vraie Reality, piochées sur ses réseaux sociaux). Elle incarne parfaitement une jeune femme en apparence très fragile, qui a tout de la jeune femme tranquille et inoffensive (ancienne de l’Air Force, célibataire, un chien, un chat, des cours de yoga, des réseaux sociaux actifs). Mais son attitude, dés le départ, est déconcertante : elle ne demande jamais pourquoi le FBI est là (comme si elle s’en doutait), elle ne demande pas d’avocat (comme si elle savait que c’est inutile dans le contexte), elle ne vocifère pas, elle collabore gentiment. Un interrogatoire de moins d’une heure suffira à tout déballer. Au passage, on comprend que les vrais interrogatoires du vrai FBI ne ressemblent pas ceux des séries TV ! Sydney Sweeney capture bien cette attitude déconcertante et placide, un peu énervante et même un peu suspecte. Tout ce talent de mise en scène, tout ce talent d’interprétation est au service de l’histoire réelle d’une lanceuse d’alerte qui n’a pas connu le retentissement d’un Snowden. Et pourtant, ce n’est pas comme si le scandale que Reality a permis de mettre à a jour
n’était pas d’une gravité sans précédent pour la démocratie américaine
. Le contexte est crucial :
nous sommes au printemps 2017, un mois après le renvoi par Trump du chef du FBI, dans l’endroit où elle travaille, il y a des TV qui diffusent non stop Fox News, son voisin arbore un petit drapeau sudiste.
Cette jeune femme, ex-miliaire, dont le patriotisme ne peut être remis en cause, qui de par son travail a une habitation qui lui permet l’accès aux publications de la NSA, qui connait les règles en matière de secret défense, va faire quelque chose tout aussi illégal que courageux, bien plus patriote en l’occurrence que tous les discours du Parti Républicain. Elle en paiera le prix, son nom sera trainé la boue, elle ira en prison et pourtant, qui peut dire qu’elle a mal agit ? Parfois, aimer son pays c’est le trahir. Le film pose cette question un peu vertigineuse, où se situe le vrai patriotisme ? En France, on sait depuis 1940 que parfois, aimer son pays c’est désobéir, c’est se mettre en marge de la loi. « Reality » ne dit pas autre chose. Ce petit thriller très austère dans sa forme (qui rebutera surement les adeptes du genre), certes un peu bavard par la force des choses, est la bonne surprise de ce mois d’aout au cinéma.