Ah! Qu’il est beau et bon de voir un film tenir dans la paume d’une main, simple comme un mot d’amour, d’une petite heure et ses vingt minutes qui suffisent à tout dire par la simplicité.
Comme toujours chez Kaurismäki, le regard est du côté des ouvriers, et son cinéma plus que jamais s’incarne dans les deux plus belles choses qui puissent être filmées : le travail manuel, c’est-à-dire le corps politique, et les regards, qui sont l’âme poétique. Film de yeux et de mains! secrètement bressonnien, œuvre désespérée mais dont le cœur est gardé chaud, illuminé d’êtres humains, de choix, d’actions minimes mais fondamentales : arrêter de boire pour se montrer à la hauteur, se dénoncer, essayer d’avancer, donner des signes, aimer l’inconnu(e), échouer, recommencer.
Il suffit d’une poignée de plans comme autant de graines fertiles pour que l’image Kaurismäkienne fleurisse, verdisse. Il suffit de deux mots échappés du fond de soi (« Maudite guerre ») pour en dire plus que tous les flots et les flux de la parole. Le silence, l’immobilité, sont la condition du mouvement cinématographique dans le regard si intime qu’instaure le cinéaste finlandais auprès de ses personnages.
On a trop dit l’influence chez lui de Chaplin et de Tati mais, tout en étant maître de son style, les plans lapidaires sur une éponge, une assiette mise à la poubelle, un pavé luisant dans la nuit finlandaise, les vues d’Helsinki à l’aube, sont d’une nécessité d’eux-mêmes qui font penser à Murnau, à Renoir : rien à couper, rien à retrancher de cet opus d’une émotion inouïe, d’une timidité irrésistiblement nordique. Les plans, dans leur justesse et leur lumière intérieure, dans leur fragilité ô combien humaine, s’en vont chacun vers le suivant, comme une série de gestes amoureux, pudiquement liés entre eux - en ce sens presque japonais.
De son titre automnal, Kaurismäki promet le verdoiement à venir, et son cinéma est encore et toujours d’un équilibre intact, comme l’herbe libre qui vient germer sur les terres gelées du Nord, et qu’aucun vent ne peut fléchir.