La documentariste Emérance Dubas lève le voile sur un pan oublié de notre mémoire collective : les mauvais traitements subis en maisons de correction, notamment dans les internats religieux du Bon Pasteur, par les jeunes filles placées.
Cette histoire a été soigneusement documentée par Véronique Blanchard dans sa thèse de doctorat soutenue en 2016 et publiée en 2019 sous le titre « Vagabondes, voleuses, vicieuses ». Cette publication s’est accompagnée d’un webdocumentaire accessible en ligne à l’adresse https://mauvaises-filles.fr/
Le documentaire sorti en salles cette semaine et le webdocumentaire accessible en ligne sont deux oeuvres différentes. Le webdocumentaire utilise plusieurs ressources : des témoignages de femmes placées, d’éducatrices ou de féministes, des archives, des décryptages universitaires, des portraits théâtralisés….
Le documentaire de Emérance Dubas est plus bref (il dure soixante-et-onze minutes à peine) et plus pauvre. Il mobilise seulement les témoignages de cinq femmes, Eveline, Fabienne, Michèle, Edith (qu’on ne verra pas, mais dont la voix nous accompagne) et Marie-Christine, et les images du Bon Pasteur à Bourges, un site laissé à l’abandon depuis une trentaine d’années.
"Mauvaises filles" revendique une filiation avec les "Magdalene Sisters", cette fiction irlandaise sortie en 2002 inspirée du sort réservé aux orphelines, aux filles-mères ou aux filles « de mauvaise vie » dans les institutions religieuses irlandaises jusqu’à une date récente. Mauvais traitements, travail forcé, manque d’amour : les souvenirs que racontent ces anciennes pensionnaires au crépuscule de leur vie ne sont pas moins glaçants. Leur résistance force l’admiration ; et on ne peut s’empêcher de penser à celles, moins résilientes, qu’un tel traitement a brisées.
Un témoignage m’a touché pour des motifs très personnels : c’est celui de Fabienne qui raconte sa sortie de l’internat, à dix-sept ans à peine, du chemin de croix qu’elle a alors vécu avec plusieurs garçons qui ont abusé de sa crédulité et de l’avortement qu’elle a dû subir dans des conditions épouvantables.
Ces témoignages, toujours pudiques, émeuvent. On regrettera qu’ils n’aient pas été éclairés par une mise en contexte historique qui aurait permis de mieux les comprendre. On s’en consolera en allant consulter le webdocumentaire de Véronique Blanchard et en lisant sa thèse – ou, pour les moins courageux comme moi, en lisant le livre plus court, qu’elle avait publié avec David Niget chez Textuel en 2016 sur ce sujet.