"Les Aventures de Bernard et Bianca", 23ème long-métrage de Walt Disney, marque un tournant dans les productions du studio aux grandes oreilles. Il constitue en effet non seulement un film de transition entre l'ancienne génération d'animateurs et la nouvelle fraîchement recrutée mais se démarque aussi considérablement de ses prédécesseurs par une construction différente de celle respectée jusqu'alors chez Disney et mise en place par le maître en personne. Lorsqu’elle reçoit
un message de détresse envoyé dans une bouteille à la mer, la SOS Société, organisation internationale des souris, convoque les représentants de chaque pays du monde entier pour se réunir à New York, dans les sous-sols du siège des Nations Unies. Le message en question est en fait un appel à l’aide envoyé par Penny, petite orpheline retenue prisonnière par Médusa, une horrible femme aux intentions plus que douteuses. Bianca, souris déléguée de Hongrie, se porte volontaire pour enquêter sur l’affaire et porter secours à Penny. Bernard, le concierge poltron et superstitieux, est désigné pour l’accompagner dans ce périlleux voyage qui les emmènera jusqu’au bayou du Diable
. Le personnage de la souris est intimement lié aux studios Disney et à leur succès, en témoigne leur célébrissime star et mascotte, Mickey Mouse. Leurs productions animées ont souvent fait la part belle à des personnages secondaires de souris hauts en couleurs, comme Timothée dans "Dumbo", Roquefort dans "Les Aristochats", ou encore Jack, Gus et toute leur bande dans "Cendrillon". Avec "Les Aventures de Bernard et Bianca", c’est la première fois que Disney offre le rôle principal à l'animal dans l’un de ses longs-métrages d’animation. L’intérêt que ce parti pris semble présenter est de voir le monde en adoptant un point de vue bien particulier, puisque nous sommes à une très petite échelle. Ce point de vue est d’autant plus intéressant que le monde des souris est un miroir de celui des humains. En effet, dans un véritable exercice d’anthropomorphisme, elles adoptent un fonctionnement en société identique à la nôtre, ou du moins se calquant le plus possible sur la nôtre. Par exemple, lorsque Bernard et Bianca s’envolent sur le dos de l’albatros Orville, ils le font à l’aéroport, et le décollage de l’oiseau se fait selon un protocole bien précis. Dans cette même idée, l’usage détourné des objets des humains par les souris est drôlement ingénieux et le film regorge de petites trouvailles réjouissantes, comme un peigne pour faire une échelle, ou une boîte de sardine qui fait office de cockpit. "Les Aventures de Bernard et Bianca" est un véritable film policier, et le fait qu'il adopte le plus souvent le point de vue des souris se révèle d’ailleurs assez intéressant au niveau du développement de l’intrigue et de l’avancée dans l’enquête. Nous découvrons les choses en même temps que les deux souris, au gré des indices trouvés. De cette façon, la révélation des intentions des méchants se fait progressivement, et c’est un vrai jeu de piste qui se met en place, rendant la lecture du film assez ludique tout en ménageant un certain suspens. Cette ambiance de polar est savamment mélangée à la comédie grâce à des personnages secondaires hauts en couleurs (comme la libellule-moteur Evinrude ou Orville, l’albatros aux atterrissages catastrophiques) et une méchante aussi affreuse qu’hilarante. Visuellement, le film datant un peu (1977), il présente le charme désuet des Disney d'antan et une animation traditionnelle. Penny, la petite fille en détresse, s'inscrit elle dans le registre du réalisme. Terriblement attachante, tout chez elle invite à l'affection. Son ours en peluche, notamment, est à l'évidence un redoutable élément d'identification pour les jeunes spectateurs, cible assumée du long-métrage. Son apparence ravissante et fragile est à l'inverse de son existence, difficile et dramatique. Mignonne à souhait, elle est la victime idéale. Ses interventions atteignent des sommets d'intensité. Difficile par exemple de résister à la charge émotive quand le chat Rufus tente de persuader la petite fille que sa longue présence à l'orphelinat n'a rien à voir avec sa valeur personnelle. Que dire encore des conditions de vie qu'elle subit... Penny incarne pour Disney l'horreur, à savoir l'enfance maltraitée. Sur le registre des personnages attachants, à l'évidence grandes réussites du long-métrage, deux intervenants, Orville et Evinrude, dépassent (et de loin) toutes les espérances. Le premier comme le second, tous deux s'inscrivant dans le domaine des transports, marquent l'inconscient collectif de générations entières de spectateurs. Orville, l'albatros maladroit, livre une scène mémorable et incarne depuis, à lui seul, le cauchemar de tout voyageur aérien. Evinrude la libellule des bayous, brille, lui, par sa capacité à être parfaitement audible alors qu'il est muet. Personnage de pantomime, s'identifiant par le bruit de ses ailes, il est le moteur de hors-bord le plus surprenant de l'histoire du cinéma. Sa magnifique animation due au vétéran Art Stevens lui confère une consistance rare pour un personnage somme toute, à la base, très secondaire. Regorgeant de rôles forts sympathiques, "Les Aventures de Bernard et Bianca" se devait de contrebalancer son casting par un méchant digne de ce nom. Compte tenu de l'ambiance bienveillante du long-métrage, le vilain de service ne pouvait pas, en effet, se permettre la moindre fadeur. Pour se faire, il est même envisagé un temps de rappeler Cruella d'Enfer ! Finalement, le choix se porte sur une malfaisante totalement originale. L'option s'avère après coup fort judicieuse ! La perfide Médusa assume, il est vrai, parfaitement son rang au panthéon des affreux (affreuses serait plus juste) de Disney. Elle est, à n'en pas douter, la vraie vedette du film. Caricature tout à la fois de la femme fatale, de la mégère et de la belle-mère, elle affiche une mauvaise foi aussi épaisse que son maquillage. Outrancière, ridicule d'entêtement, avide de richesses, elle cumule tous les vices. Totalement égocentrique, irresponsable et sujette à des moments de panique, elle apparaît souvent plus drôle qu'effrayante même si sa capacité de nuisance est bien réelle. Son excentricité vient également de sa voix nasillarde placée à l'origine par l'américaine Géraldine Page, dont l'intonation sera reprise ensuite dans tous les doublages nationaux, français compris. Son animation est une véritable leçon de savoir-faire. La tentative de destitution de l'adepte de la fourrure est sérieuse mais échoue finalement; Madame Médusa se posant plutôt en première dauphine attitrée de Cruella d'Enfer ! Si l’histoire, l’animation et les personnages de ce film sont des franches réussites, il est un aspect où le film pèche énormément. La bande originale n’est en effet pas à la hauteur de l’enjeu. Les chansons, tant sur le point de vue du nombre que de celui de la qualité, sont loin de retenir l’attention. Légères pour ne pas dire insipides, les ritournelles ne fonctionnent pas. Mais "Les Aventures de Bernard et Bianca" reste un grand classique Disney un peu tombé dans l'oubli, à redécouvrir