"Mississippi burning" : un film qui a obtenu un assez joli succès commercial malgré le choc qu’il provoque. 34 millions de dollars aux Etats-Unis (pour un budget de 15 millions), et pas tout à fait 700 000 entrées en France. Alors la question se pose : en cette année 88 (89 pour la France), le public était-il prêt à voir cela ? A cela, deux réponses possibles. On pourrait dire non, car les mentalités n’étaient pas encore forcément prêtes (surtout aux States). Mais on pourrait dire oui, dans le sens que (ce n’est qu’une supposition bien entendu) ce film a contribué à faire évoluer ces mêmes mentalités, porté il est vrai par la reconnaissance des hautes instances du cinéma avec pas moins de sept nominations aux Oscars. "Mississippi burning" serait-il alors sorti en avance sur son temps ? Ma foi, tout dépend du point de vue sur lequel on se place. Le fait est qu’aujourd’hui, "Mississippi burning" est un grand classique incontournable du cinéma, mettant en scène un duo inédit avec l’inévitable Gene Hackman, et Willem Dafoe qui fait ici plus jeune que son âge. Et puis "Mississippi burning", c’est aussi un titre très évocateur sur ce que le spectateur va voir. Et sans attendre, celui-ci est cueilli à froid par une succession d’images, présentant le contexte aux allures de guérilla, des images seulement accompagnées d’un chant en gospel empli de tristesse et de douleur, voire même de résignation bref, tout ce qui vous fait hérisser le poil sur les plus beaux chants du genre. Direction est prise sur le Mississippi, cet état américain où la communauté noire était la plus importante, grand fief emblématique des champs de coton et pour ainsi dire quartier général de la ségrégation raciale. Un soir, alors qu’il fait nuit noire (sans jeu de mots), un véhicule occupé par des jeunes se fait prendre en chasse par d’autres véhicules tous feux éteints. Déjà, la tension s’installe, vous enveloppant à bras le corps pour ne plus vous lâcher jusqu’à la fin, plongés au beau milieu des années 60 (1964 pour être plus précis) sans aucune difficulté par l’image, les véhicules, avant que les décors ne finissent plus tard de compléter le tableau. Sans même voir comment cette première scène se termine, on sait ce qu’il advient et dès lors le choc, la honte provoquée par cette sauvagerie humaine submergent tout votre être. Cette affaire, malheureusement anodine au sein de cet état, l’est moins par la personnalité des personnages. C’est d’ailleurs ce qui provoque l’entrée en scène du tandem cité plus haut. En agents du F.B.I., le duo débarque à Jessup County, une petite bourgade fictive inspirée du lieu où les faits se sont réellement produits. Clairement, les deux agents ne sont pas les bienvenus, bénéficiant d’un accueil inhospitalier trahi par les regards en chien de faïence, les silences révélateurs, et l’évidente mauvaise volonté de la police locale. Rapidement se dessine un affrontement qui promet d’être intense. Et assurément il va l’être, alimenté par les fortes têtes pas du tout rangées du côté de la cause des noirs, par des témoignages poignants (en particulier de la communauté noire opprimée), des propos choquants (venant principalement de la population blanche), des pressions, des intimidations (pour ne pas dire menaces), des regards emplis de défiance pour les uns et de défis pour les autres, et animée par les exactions du K.K.K. (Klu Klux Klan) défini comme « plus fort en lynchage qu’en chansonnette », apportant par la même occasion chez le spectateur le plaisir jouissif de voir cette congrégation se faire égratigner. Mais cet affrontement est alimenté par les violences qui n’épargnent personne : hommes, femmes et enfants, personne n’échappe pas à la bêtise humaine. Enfin quand je dis « bêtise humaine », cela va au-delà de ça. Il serait plus opportun de parler de sauvagerie humaine. De bestialité. Et encore, je trouve que les mots ne sont pas suffisamment forts. La quasi intégralité du film se déroule quasiment sans support musical. Mais lorsque la musique intervient, c’est toujours quand il faut et selon un thème tout à fait adapté. Dans tous les cas, elle suffit à elle seule à appuyer le propos et y donner toute l’importance et la gravité qu’il mérite. Le rythme est parfaitement maîtrisé, et reflète parfaitement l’immense difficulté d’une enquête dans un endroit où les étrangers ne sont pas les bienvenus, simplement parce qu’ils sont susceptibles d’aller fourrer leur nez là où il ne faut pas, surtout dans une bourgade où on élimine le problème intra-muros, en catimini et où la règle d'or est le silence. Outre la qualité indéniable de la mise en scène, du montage, du rythme et de l’accompagnement musical (signé Trevor Jones), le film ne serait pas ce qu’il est sans l’interprétation monumentale de tous les acteurs. Oui, j’ai bien dit de tous. Certes Gene Hackman et Willem Dafoe sont sur le devant de la scène et se complètent à merveille dans deux styles très différents (vous comprendrez en voyant ce film mais disons que l’un est de la vieille école tandis que l’autre est plus… est plus… on va dire moderne), ce qui apporte un savoureux contraste entre les deux hommes, et pas seulement à cause de leur âge. Mais que dire de cet ensemble de comédiens noirs, y compris ceux qui ont les plus petits rôles ? Quand ils se font interroger (ça fait d’ailleurs penser aux reportages tournés dans un pays en proie au chaos), on voit clairement dans leur comportement, dans leur regard qu’ils sont terrorisés, résignés, et qu’ils hésitent à dire quoi que ce soit à cause de très probables représailles. Pour d’autres, ce sont des regards de défiance, où on se jauge pour savoir si la confiance est de mise ou pas. Et que dire de ces comédiens d’un jour (ou plus, je ne sais pas) qui, au gré d'à peine quelques secondes, apportent des propos le plus souvent choquants sur la condition des noirs ? Et que dire sur cette kyrielle de seconds rôles, alors pour la plupart au début de leur carrière et devenus pour certains d’entre eux de grands noms du cinéma ? Je pense bien évidemment à Frances McDormand, remarquée quatre ans plus tôt chez les frères Coen, à Tobin Bell qui faisait là sa première apparition à l’écran, à Michael Rooker et à Pruitt Taylor Vince respectivement sur le circuit du 7ème art depuis seulement deux ans et un an (selon les données d’Allociné), et enfin Brad Dourif remarqué sur le tournage de "Vol au-dessus d’un nid de coucou". Non franchement, c’est toute la distribution qui est à saluer. Et quand tout est parfait, il n’y a plus qu’à laisser parler la photographie, laquelle fut récompensée lors de la 61ème édition des Oscars (1989). Il en reste aujourd’hui des images cultes, telles que le mot « freedom », ou le dernier plan s’attardant sur une pierre tombale écrite de seulement deux petits mots, mais deux petits mots qui veulent dire beaucoup : « not forgotten ». Ah ça, je ne suis pas prêt d’oublier ce film, où mon sentiment a trouvé son écho dans les paroles du pasteur : « je vous le dis, je suis accablé ». Oui accablé par ce que j’ai vu. Accablé par ce dont est capable l’être humain. Accablé par la culture de la haine. Accablé par l’appel à la haine. Accablé par la peur viscérale des noirs. Accablé par cette violence gratuite. Accablé par la politique de l’autruche de certains. Et vous non plus ne serez pas prêt d’oublier. Parce que ce film est choquant par des séquences dures, dont certaines sont dans la suggestion. Parce que vous allez vibrer autant que les deux agents, au bord de sombrer dans la folie alors que l’enquête piétine et que les violences se multiplient. Tout simplement parce que vous allez adhérer à la même cause. Et puis parce que les bonnes questions sont également posées, du style « d’où vient-elle cette haine ? » Ah ça, si on le savait, on en serait sûrement venu à bout, parce que quoi qu’on en dise, la haine raciale continue encore aujourd’hui… D’une manière différente, mais elle court toujours…