Le dernier film de François Ozon est une sorte d’exercice de style, dans la forme comme dans le fond, tout parait totalement désuet, presque hors du temps. Pour peu qu’on accepte ce postulat qui fait de « Mon Crime » un film à la limite de la parodie, alors on passe moment agréable de cinéma. Dans sa forme, tout évoque le cinéma de l’entre-deux guerre : les décors, les costumes (magnifiques), la musique, le montage, les enchainements, le côté très théâtral et très écrits des dialogues, le cabotinage revendiqué des comédiens, tout est raccord. Dans la forme, pas de doute, tout cela est très réfléchi et soigné, jusque dans la conception de l’affiche. Même l’humour est un peu désuet, et ça c’est plus embêtant. Et pourtant, il ne s’agit pas réellement d’une parodie, ni même d’un véritable hommage. On peut davantage parler ici d’exercice de style : « Tiens, si l’on faisait un film sur la cause des femmes à la sauce de 1935 ? ». Cette époque, encore insouciante des évènements qui se profilent, c’est l’époque des garçonnes, de Louise Brooks et la veille des combats populaires de 1936, mais c’est surtout une époque encore très patriarcale dans laquelle faire entendre un discours de femme est quasiment une vue de l’esprit. Alors évidemment, faire un film ouvertement féministes campé en 1935, ça fait un peu décalé et pas follement crédible. Mais pour tout dire, la crédibilité ne semble pas avoir été la préoccupation n°1 de François Ozon. On sent qu’il s’est laissé porté par le folie douce d’un scénario très écrit et qu’il a pris beaucoup de plaisir à donner à de grands comédiens des rôles dans lesquelles il brillent. Il y a une flopée de seconds rôles très hauts en couleur tenus brillamment par des acteurs qui se régalent de ce genre de textes. Michel Fau, par exemple, dans le rôle d’un procureur, qui nous offre un réquisitoire totalement surréaliste, ou bien encore Fabrice Lucchini en juge d’instruction aussi médiocre que présomptueux. On peut y ajouter Isabelle Huppert en ancien star du cinéma muet, ou encore Franck de la Personne, Dany Boon (à l’étrange accent marseillais) ou André Dussollier. Tous surjouent comme s’ils étaient dans une pièce de boulevard, forcent un tout petit peu les mimiques, font des envolées lyriques, débitent leur texte comme s’ils déclamaient sur une scène. Et puis il y a Nadia Tereszkiewicz et Rebecca Marder, respectivement Madeleine et Pauline. Elles jouent dans le même registre que tous les autres, elles sont charmantes mais je trouve Rebecca Marder un petit peu en retrait, comme si son rôle était un peu sacrifié. C’est un peu normal, elle est logiquement éclipsée par la flamboyance de Madeleine/Nadia Tereszkiewicz, mais je ne peux pas m’empêcher de trouver cela un peu dommage. Comme je le disais, le scénario est très écrit, à base d’envolées lyriques, de dialogues parfois à la limite de l’absurde, de langage désuet et de postures d’un autre temps. La modernité qui manque à la forme, c’est dans le fond qu’il faut la chercher. « Mon Crime » est une sorte de parabole du mouvement « metoo », où les femmes se défendent, cessent d’être des victimes pour devenir maitresses de leur destin professionnel et personnel. Elles n’hésitent plus à manigancer, manipuler pour obtenir ce à quoi elles ont droit. Là où les hommes usent de la brutalité (un producteur violeur, un juge d’instruction expéditif, un policier qui abuse de son pouvoir), les femmes usent de roublardise, elle cache derrière leur sourire et leur bonnes manières des trésors de manipulation pour obtenir gain de cause. Derrière l’apparent mauvais esprit du scénario (le crime paie, l’autodéfense est une droit, et même ici une opportunité, la Justice est un théâtre de dupes où la Vérité occupe bien peu de place), c’est bien ce message là qui irrigue tout le film : les femmes sont plus fortes, leurs armes sont différentes, moins létales mais terriblement efficaces. Est-ce un message féministe ou bien exactement l’inverse ? J’avoue que je ne sais pas très bien quoi en penser, une fois la séance terminée. Nul doute que « Mon Crime », avec son style particulier, son casting de premier choix et son côté désuet mais charmant séduira une large public, et je ne doute pas qu’il fera un tabac lors de son passage TV. Mais Il y a dans ce film un tout petit « je ne sais quoi » qui me dérange, sans que je parvienne à mettre réellement le doigt dessus. Il manque peut-être un petit peu de profondeur, peut-être qu’il ressemble un tout petit peu trop à une pièce de théâtre de boulevard, peut-être que son message peu lisible (s’il existe réellement) me laisse dubitative…