Mon Crime aurait dû se contenter du format court, tant l’heure qui suit les trente premières minutes répète jusqu’à la nausée le même dispositif tout à la fois d’écriture et de mise en scène. Une fois le procès achevé, nous avons l’impression d’une improvisation permanente, quoique perturbée par des indices trop visibles – la bousculade d’Odette Chaumette dans la rue, qui annonce le retournement en clausule. Le décalage repose essentiellement sur la parole et la gestuelle : un bon mot, un sens de la répartie comique, un anachronisme léger viennent dynamiter des échanges sinon condamnés aux formules officielles, donc stériles. Il témoigne une fois encore de l’intérêt de François Ozon pour la comédie de boulevard, qu’il se plaît à adapter (8 femmes de Robert Thomas, Potiche de Pierre Barillet et Jean-Pierre Gredy) ainsi que pour le théâtre en général (Gouttes d’eau sur pierres brûlantes en 1999 et Peter von Kant en 2022 de Rainer Werner Fassbinder), auquel s’ajoute un goût pour la reconstitution de la France du siècle précédent.
Le mérite de son long métrage tient alors à éclairer une œuvre littéraire qui sinon serait restée dans la pénombre : la pièce de Georges Berr et Louis Verneuil de même nom, qui bénéficiait de l’interprétation de la comédienne Edwige Feuillère, dont Isabelle Huppert propose une parodie assez catastrophique – le pire rôle de l’actrice, à n’en pas douter, tant son surjeu échoue à susciter le rire ou l’intérêt. En l’adaptant, Ozon en déplace légèrement les enjeux pour en faire un film sur le cinéma : la femme de lettres (Madeleine Verdier) se transforme en une comédienne ratée, M. Montferrand n’est plus directeur de banque mais producteur, les flashbacks explorent le cinéma muet pour mieux confronter une modernité qui a écarté les talents sans voix à une tradition que le cinéaste n’interroge pas vraiment. Encore un film sur le retour aux origines du septième art, après Babylon (Damien Chazelle), The Fabelmans (Steven Spielberg) et Empire of Light (Sam Mendes ! Ozon réactualise ainsi le discours féministe ambiant qui dénonce le despotisme masculin dans l’industrie, troquant des rôles contre des chambres à coucher, tout en le regardant avec une distance amusée.
Car il serait malvenu de qualifier Mon Crime, pièce comme film, de féministe : si des femmes campent les rôles principaux, si des thèses féministes circulent, si les hommes sont constamment dupés et ridiculisés, c’est pour mieux asseoir le machiavélisme féminin voire sa folie profonde, fil directeur du cinéma de François Ozon. Madeleine est un avatar de Chloé (L’Amant double) ou d’Isabelle (Jeune et Jolie) : un personnage de séductrice qui prend au piège les hommes par ses charmes et par la maîtrise maléfique du désir masculin. La tonalité est certes plus légère, fidèle à la pièce de théâtre qui allie rapidité d’exécution et facilité d’écriture – les défauts de l’œuvre scénique se retrouvent dans le long métrage – mais ne saurait duper, à l’instar du récent Mascarade (Nicolas Bedos, 2022).
Aussi Mon Crime embarrasse-t-il davantage que les deux autres, dans la mesure où la misogynie symbolique est couverte d’un vernis féministe malhonnête qui aurait pu fonctionner si le cinéaste avait eu le courage d’oser le gratter, scène après scène, pour exhiber les rouages de la comédie sociale. Sous des airs innocents et pétillants, voilà une production artificielle qui ne dispose ni du charme désuet de Potiche ni du dispositif ingénieux de 8 femmes. Un nouvel échec (relatif) pour François Ozon, cinéaste dont la grâce paraît cantonnée au spectacle de la souffrance masculine et de son impossibilité à aimer les femmes.