Opéra tragique, épique et flamboyant
Décidément les papys du cinoche font de la résistance, après Scorcese et Loach, c’est autour de Marco Bellocchio, 84 ans. Rien que dans ces 10 dernières années, La Belle endormie et Le Traître, font que la sortie d’un nouveau film de ce cinéaste italien constitue un événement. Et croyez-moi, ce n’est pas avec ces 135 minutes là qu’on risque d’être déçu. En 1858, dans le quartier juif de Bologne, les soldats du Pape font irruption chez la famille Mortara. Sur ordre du cardinal, ils sont venus prendre Edgardo, leur fils de sept ans. L’enfant aurait été baptisé en secret par sa nourrice étant bébé et la loi pontificale est indiscutable : il doit recevoir une éducation catholique. Les parents d’Edgardo, bouleversés, vont tout faire pour récupérer leur fils. Soutenus par l’opinion publique de l’Italie libérale et la communauté juive internationale, le combat des Mortara prend vite une dimension politique. Mais l’Église et le Pape refusent de rendre l'enfant, pour asseoir un pouvoir de plus en plus vacillant... Une page d’histoire méconnue, un immense metteur en scène, un nouveau monument de cinéma.
Histoire incroyable mais pourtant histoire vraie. C’est d’emblée ce que l’on peut dire du nouveau chef d’œuvre de ce cinéaste qui n’est jamais aussi à l’aise que dans le film historique – rappelons-nous son formidable Vincere de 2009 -. Revenons un instant sur la genèse de ce fait divers qui agita l’Italie au milieu du 19ème siècle. Anna Morisi, jeune servante catholique au service des Mortara, une famille juive de Bologne, craint pour la vie du 6ème de leurs 8 enfants, Edgardo, et décide de le faire baptiser en secret. En 1857, les gendarmes de la papauté débarque chez les Mortara et arrache l'enfant à sa famille pour le conduire à Rome, sur mandat du Saint-Office de l’Inquisition, sous le contrôle direct du pape Pie IX. Le petit graçon sera élevé et éduqué dans la Domus Catecumenorum - Maison des catéchumènes et des néophytes - un séminaire créé pour la conversion, entre autres, des Juifs et des Musulmans. Au centre de ce scénario, un crime commis au nom d’un principe absolu. Je t’enlève parce que Dieu l’a voulu ainsi. Et je ne peux pas te rendre à ta famille. Tu es baptisé et, de ce fait, tu es catholique pour l’éternité. Mais cet enlèvement symbolise aussi – et surtout -, la volonté désespérée, ultraviolente, d’un pouvoir déclinant qui essaie de résister à son propre effondrement. Le film nous raconte aussi une vision du « syndrome de Stockholm ». Mais ce drame historique n’est qu’un film, pas un livre d’histoire ni de philosophie. Il n’a pas de visée idéologique, nous confie son réalisateur. Pour nous c’est un immense moment de cinéma, une perfection visuelle et sonore avec la musique fantastique de Fabio Massimo Capogrosso. Epique et inoubliable.
Enea Sala et Leonardo Maltese, campent Edgardo enfant et adulte. Tous les deux débutants, voilà deux acteurs à suivre avec attention. Paolo Pierobon nous propose un Pape Pie IX entre bonté, autoritarisme et duplicité, d’une complexité rare. Fausto Russo Alesi et Barbara Ronchi sont les parents Mortara, entre douleur et colère. On apprend évidemment beaucoup sur cet événement qui fit chanceler le Vatican. Le casting, vous l’avez compris est remarquable. La mise en scène tout en clair-obscur, virtuose assortie de quelques moments culte. Ce pamphlet contre l’obscurantisme nous réserve un plaisir constamment renouvelé durant les 2 heures et demie qu’on ne voit pas passer.