Le hasard de la sortie de « l’Enlèvement » entre en résonnance avec une actualité que Marco Bellochio ne pouvait envisager.
A bientôt 84 ans, le réalisateur italien n’a rien perdu de son mordant, bien au contraire, ses deux derniers longs métrages de fiction, « Le traître » et « L’enlèvement » se placent très haut dans la hiérarchie de sa filmographie. Alors que « Le traître » s’intéressait à l’histoire véridique de Tommaso Buscetta, un repenti de la Mafia, c’est à une autre histoire véridique que le réalisateur a consacré « L’enlèvement ».
En 1858, la ville de Bologne fait encore partie des Etats pontificaux et, à ce titre, l’inquisition y avait encore droit de cité. Le 23 juin 1858, la police pontificale, sur ordre de l’inquisiteur Pier Gaetano Feletti, a investi la demeure où habitent la famille Mortara et leurs 8 enfants. Les policiers exigent que leur soit remis Edgardo, un de ces enfants, alors âgé de 6 ans et quelques mois. Pourquoi cet enfant plutôt qu’un autre ?
Très simplement parce que la famille Mortara était une famille juive et parce que les autorités catholiques avaient appris qu’Edgardo avait été ondoyé en secret par une domestique de la famille Mortara alors que, bébé, il était très malade et que cette servante, en bonne chrétienne, craignait que, s’il venait à mourir, l’enfant aille rejoindre les limbes. Considéré comme baptisé à la suite de cet ondoiement, Edgardo ne pouvait plus, du point de vue de l’église catholique, être élevé dans sa famille juive sauf à devenir apostat et donc excommunié.
Il est donc emmené à Rome, loin des siens…. Dans ce véritable combat avec la papauté, le couple Mortara va trouver des soutiens un peu partout dans le monde et l’affaire abondamment traitée dans la presse, agite l’Italie, l’opinion publique libérale mais aussi la France, les Etats Unis jusqu’à la chute des Etats Pontificaux en 1870…et si Camillo Cavour, Napoléon III et la communauté juive américaine s’en mêlent, le pape Pie IX ( Paolo Pierobon, exceptionnel que l’on prend plaisir à détester dans ce rôle, tout comme on ne peut s’empêcher de détester l’inquisiteur Pier Gaetano Feletti, interprété par Fabrizio Gifuni ) ne veut rien entendre de son vivant.
Marco Bellochio a réalisé un film d’une rare puissance, qui aurait mérité une nouvelle récompense au dernier Festival de Cannes où il a été présenté. Le rapt de l’enfant, filmé comme dans un thriller, dans des teintes sombres, ( la photo et la lumière de Francesco Di Giacomo sont absolument magnifiques), l’interprétation des acteurs principaux, la façon de traiter en parallèle la tragédie familiale que vivent les Mortara, les tourments du jeune Edgardo, l’agonie du pouvoir temporel de l’Eglise, tout cela concourt à faire de « L’enlèvement » un film inoubliable…un sacré film, récit d’un lavage de cerveau qui tourne au syndrome de Stockholm…où le jeune Edgardo aura jusqu’au bout espéré convertir les siens !!