La comédie de Thea Sharrock, « Scandaleusement Vôtre » (c’est le titre français, je ne l’aime pas beaucoup, je préfère « Wicked Little Letters ») ne casse pas trois pattes à un canard, ce n’est pas un chef d’œuvre inoubliable mais c’est une petite comédie efficace et rafraichissante, tirée d’une histoire parfaitement authentique. L’action se situe en 1920 dans une petite ville anglaise et la reconstitution est très réussie. Le film est enlevé, bien rythmé, accompagné d’une musique sympathique et bourrée d’un humour « so british » toujours efficace. Réalisé par une femme, avec au casting deux comédiennes de talents, le film se situe dans une époque critique, une époque charnière pour les droits des femmes. Elles ont remplacé les hommes à l’usine et aux champs pendant la Guerre, elles ne comptent pas retourner en arrière. Les femmes des années 20, en Angleterre comme ailleurs, veulent rester au travail, d’autant que beaucoup sont désormais seules charge de famille. Elles veulent s’affranchir d’une Angleterre Victorienne qui les a corsetés et obtenir des droits, celui de voter, celui de vivre comme elles veulent, celui d’investir des métiers d’hommes. Alors évidemment, on est aux prémisses de tout cela mais n’empêche, c’est dans l’air et c’est ce qui se joue entre les deux personnages féminins. Olivia Coleman incarne l’ancien monde, la vieille fille souffre douleur de parents abusifs, pieuse jusqu’à l’absurde, frustrée et sans aucune perspective d’avenir, du moins tant que ses parents seront vivants. Olivia Coleman, parfaite en femme effacée
mais en même temps tiraillée par des sentiments contradictoires, vaguement admirative de la légèreté de se jeune voisine, peut-être même envieuse, même si elle ne l’avouera jamais
. De l’autre côté, le nouveau monde avec cette jeune irlandaise un peu délurée (très délurée même pour l’époque, les scénariste sont poussé le curseur assez loin dans son cas comme dans l’autre), moderne, qui regarde l’avenir et veut croquer la vie. C’est Jessie Buckley qui lui donne son énergie. Et puis il y a Anjava Vassan, en policière discrète et opiniâtre. C’est aune autre forme de féminisme, plus soft (mais pas moins efficace). Nous avons donc un film réalisé par une femme, avec trois femmes en tête d’affiche et qui aborde de front les débuts de l’émancipation féminine au XXème siècle. J
’avoue, le mystère des lettres d’injures, il ne faut pas 10 minutes pour deviner qui les écrits, et il n’est nul besoin d’avoir fait des études de psychologie pour comprendre pourquoi. Mais en réalité, l’important n’est pas dans le « qui » ou le « pourquoi », mais surtout dans la façon dont le corbeau va être démasqué.
On a envie d’être indulgent avec les petites exagérations du scénario, les petites incohérences et les raccourcis ; on a envie de fermer les yeux sur une Angleterre un petit peu trop multiculturelle pour les années 20, après tout il s’agit d’une fiction, cela n’a pas une réelle importance. Je trouve quand même dommage que le scénario n’a pas appuyé davantage sur le fait que Rose Goodwin est irlandaise. Parce qu’en 1920, la guerre d’indépendance irlandaise bat son plein et les relations sont très complexes entre les deux pays.
Le fait que Rose soit irlandaise n’est jamais évoqué, ou si peu, alors que rien que d’un point de vue religieux (puisqu’Edith est si pieuse) la cohabitation entre l’anglaise et l’irlandaise fraichement immigrée aurait du être autrement plus conflictuelle.
C’est assez déroutant de voir cet aspect totalement éludé, et cela fait nettement baisser la note « crédibilité » du film. Pour moi, c’est plus problématique qu’un casting multiculturel un peu avant l’heure. « Scandaleusement Vôtre » et malgré tout cela une comédie anglaise assez réjouissante et efficace, une sorte de pâtisserie anglaise pas trop sucrée, pas trop grasse, juste bien équilibrée comme il faut pour accompagner un « tea time ».