Pour la seconde fois, des cinéastes s'emparent d'un chef-d'œuvre de la littérature érotique pour en faire un navet. Est-ce donc là le destin d'Emmanuelle?
Le livre est chaud, truffé de dialogues intelligents, source de réflexions sur notre rapport à l'érotisme et au couple, nous plonge dans Bangkok Le film est aseptisé, il nous impose des dialogues insipides, une absence totale de matière à penser, presque un huis-clos dans un palace et à la broyeuse capitaliste dont sa directrice fait l'objet.
Pourquoi la réalisatrice et la scénariste se sont-elles éloignées à ce point de leur source d'inspiration? Mystère. Etait-ce un exercice de style? En tout cas pas une façon féministe de s'emparer du sujet. A moins que le fait qu'Emmanuelle, dans un avion, se rende aux WC, en se sachant suivie du regard par un inconnu, et ferme très lentement la porte des cabinets et non le loquet, en guise de «c'est ouvert, servez-vous!», soit un summum d'émancipation féminine et de liberté de faire ce que l'on veut de son corps? Quant à l'idée de boire l'eau du bain (après usage) de l'homme convoité, mais indifférent aux avances d'Emmanuelle: est-ce sensé inspirer le public? Et cette Emmanuelle, sans émotion ni grand plaisir, qui détaille son anatomie à coup de selfies en une vaine tentative de séduction: devait-on vraiment recourir à une telle platitude toute contemporaine?
En 2024, cet écho d'un livre courageux, novateur et surtout solaire – l'inverse d'Histoire d'O qui l'avait précédé – se révèle terne, ennuyeux, sans enjeux – un vrai coup pour rien. Emmanuelle Arsan doit se retourner dans sa tombe. Les féministes risquent de faire de même dans leurs sièges. Les autres, une fois encore, ne soupçonneront pas qu'Emmanuelle, le livre, est un livre qui se lit d'une main, certes, puis des deux, puis – surtout! – avec la tête. Dommage.