On dit que Jacques Audiard est un très grand réalisateur français, sinon l’un des plus grands de son époque. Pour mon premier film de ce cinéaste, Emilia Perez fut une bonne expérience. C’est une belle découverte, abordant un thème souvent exploré au cinéma, mais fort et universel, surtout d’actualité : l’identité. Peut-on changer de vie sans en subir les conséquences ? Je laisse le spectateur le découvrir par lui-même, mais le réalisateur semble affirmer que, dans la vie, on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre : lorsque l’on choisit de commencer une nouvelle vie, il faut être prêt à tout recommencer pour de bon.
L’une des choses les plus intéressantes, c’est son aspect fataliste et sa fin, dont la morale contient une touche d’ironie quelque peu grinçante. L’expression « ironie du sort » est ici des plus appropriées (quand vous le verrez, vous comprendrez). À ce fatalisme et à ce coup du sort, Audiard ajoute également un autre composant, que les amateurs de Racine apprécieront sans doute : le triangle amoureux (je vous laisse deviner qui aime qui). Cet aspect tragique se déploie avec subtilité, et cette coloration tragique est d’autant plus pertinente pour parler de la vie.
Les musiques sont bien écrites et rythmées, et certaines s’intègrent habilement à la narration tout en offrant une réflexion ou un complément au spectateur. La mise en scène est plutôt réussie ; certains plans sont magnifiques et la photographie est très belle. Cependant, l’ensemble ne constitue pas une prouesse. Audiard est un bon réalisateur, mais il est loin, du moins dans ce film, d’égaler un De Palma, un Coppola (surtout dans Apocalypse Now ou Dracula) ou un Lynch. Quant aux acteurs, Gascon porte le film, Saldaña est très bonne et Gomez est correcte. Toutefois, j’aurais aimé que Gomez ait un rôle plus actif qui l’aurait davantage mise en valeur, vu qu’elle ne prend pas de rôle tous les quatre matins.
En définitive, Emilia Perez constitue une belle surprise, tant par son message fort sur l’identité et une éventuelle renaissance que par son traitement. D’ailleurs, cette réflexion sur les nouvelles chances dans la vie (peut-on repartir de zéro sans que notre passé nous rattrape) peut faire penser à The Great Gatsby de Fitzgerald, adapté par Clayton en 1974 et Luhrmann en 2013, ce qui renforce l’idée de la quête de réinvention personnelle face à un passé pesant. On se souviendra davantage de ce film pour cela que pour sa réalisation, qui, bien que bonne, ne m’a pas transcendé, même s’il y a des idées très intéressantes (la scène de chanson à l’hôpital en Thaïlande, la soirée en l’honneur de l’association où Saldaña affiche son mépris envers les invités en costume rouge, la chanson de la protagoniste qui évoque son ancienne et sa nouvelle vie et son tiraillement entre ces deux mondes, la scène de la fin avec les armes…).
A découvrir.