Le voir une première fois. Avoir été soulevée de son siège par les cheveux pendant toute la séance et relâchée sans ménagement à la dernière image (et avoir savouré jusqu’à la dernière goutte du générique).
Être obsédée par la musique pendant une bonne semaine, rechercher frénétiquement la bande-son, devoir se frustrer avec les quelques extraits bien pauvres disponibles sur Youtube ; mais tant pis, les faire tourner en boucle quand même, tout en tentant désespérément de retenir les bribes de souvenir (surtout
la supplique au médecin israélien
).
Se voir inopinément offrir une chance de second visionnage, même si en français cette fois.
Sentir monter cet irrépressible besoin de se jeter encore à corps perdu dans la substance de Karla Sofia Gascon, sa chair à l’écran, son sourire immense, ses silences inquiétants, sa voix maternante, ses chants viscéraux, ses murmures, sa démarche.
Y retourner, avec l’appréhension de la déception - et si on avait tout idéalisé ? Être satisfaite du doublage français, s’apercevoir qu’une ou deux répliques nous avaient échappé. Redécouvrir des chansons à côté desquelles, dans le foisonnement, on était passée. Constater que c’est, effectivement, de l’opéra. Et que le film résiste à plusieurs visionnages, que même si on sait ce qui va advenir, et qui est de toute façon une inéluctable mécanique, on peut profiter du reste. De tout le reste. Ça n’enlève rien au charme, au débordement, à l’intensité, au jeu des actrices, on passe quand même à travers l’écran, on est avec elles, on est transfiguré nous aussi, le temps d’une histoire.
Se dire que, définitivement, il y a ici quelque chose de Baz Luhrmann. Qu’Emilia est à la hauteur du charisme de Frank N. Furter adoré adolescente. Qu’elle ravive la jubilation, l’émotion de John Cameron Mitchell avec Hedwig - en plus sérieux, en plus mature peut-être. Rêver, enfin, que
Manitas/Emilia ait dit la vérité à ses proches avant la catastrophe
. Pour prolonger indéfiniment le plaisir.