Bonjour tout le monde,
Jacques Audiard ose tout et cela est une réussite !
Film : " Emilia Perez".
Découvrons une œuvre cinématographique complexe, foisonnante et multiforme.
" Je est un autre "
( Arthur Rimbaud).
Nous avons tendance , ou bien nous sommes " conditionnés " à ranger dans telle ou telle catégorie tout film et cela réduit toujours la perception , globale et analytique, de n ' importe quel film . Ainsi, il est tout à fait réducteur de définir " Emilia Perez " comme une comédie musicale, ou un drame musical, ou un thriller, ou un western , ou un film d' auteur , ou un film policier, ou un film mélancolique, ou un film fantastique,et cetera ............. Ici, Jacques Audiard enfante et signe une œuvre cinématographique savamment " éclatée " , tel un puzzle transcendant et particulièrement prégnant quant à la destinée du héros, devenue héroïne, simplement humaniste et sympathiquement étonnante........
Les premiers films de Jacques Audiard comportaient une nette majorité de rôles masculins détaillés et précis . " Emilia Perez" enfante un quatuor féminin:
- Zoé Saldana excelle dans le rôle de Rita Mora, avocate atypique ( pour une fois cette géniale comédienne n ' est pas travestie en bleu comme dans les films liés à la planète Pandora des films " Avatars", passés et à venir , ni évidemment en vert dans les films" Les gardiens de la galaxie", passés et à venir),
- Karla Sofia Gascon qui met , avec brio, Emilia Perez au sommet du mystère identitaire et de la nuance ardue,
- Selena Gomez qui incarne l' épouse d' un homme sanguinaire et chef d ' un cartel de la drogue devenu Emilia Perez sans qu' elle le sache,
- Adriana Paz qui incarne Epifania, l' amie de cœur d' Emilia Perez.
Fort justement ce " carré" d' actrices a reçu, chacune, le prix d ' interprétation féminine au festival de Cannes du printemps dernier. Jacques Audiard aborde plusieurs sujets majeurs en nos épiques époques, opaques ou lumineuses, où l' empathie collective régresse au bénéfice des postures rigides face à toute altérité mais certaines œuvres d' art peuvent inverser, partiellement ou complétement, le cours prévisible du prêt à penser et du prêt à exclure......... Je vais tenter de vous écrire mon point de vue sur " Emilia Perez". ( Vous pourrez trouver , dans le numéro double de la revue Positif de juillet et août 2024, plusieurs appréciations écrites sur ce film et une très intéressante et longue interview de Jacques Audiard,)
Ai- je envie de changer de sexe ou de genre ? Non . Et vous ? Ce gros bonnet de la drogue veut devenir Emilia Perez et il le peut car l' argent , illicite , coule à flots pour pouvoir devenir Emilia Perez mais avec le même cerveau ............
Change - t- on vraiment de destin ou de vie en choisissant de devenir homme ou femme ? Tel est une des questions soulevée par ce grand film inspiré et novateur quant à ses formes filmées ........
Souvent ,avec Jacques Audiard, le thème du rachat est évoqué et traité , Ici, Emilia veut se laver de son passé de gangster et sa quête humaniste se heurte à sa volonté de toute puissance . L' issue , certes prévisible, est magistralement mise en scène avec réalisme et âpreté.
Vous avez dit comédie musicale ? Comédie musicale, comme c' est comédie musicale !! West Side Story, de Stephen Spielberg, n' a pas rencontré son public alors que nous sommes en présence d' un grand film.
Pourquoi ? Je ne sais pas. Il semblerait qu' Emilia Perez puisse trouver le sien.
Cela écrit, il s ' agit , ici, d ' une œuvre cinématographique transgenre ou plus exactement d' un film polyforme, tel un puzzle habilement monté, qui nous questionne sur la science et le genre lié à l' argent, sur la manipulation, sur la volonté de toute puissance, sur la psyché humaine et cela grâce à la parole, grâce au chant classique, voire au chant "rappé" ou "slamé " ce qui touche notre émotionnel et notre raisonnement étonné et peut être avivé.........
La force de ce film réside précisément dans son maelstrom de séquences chantés où des idées lourdes et prenantes sont explicitement formulées , dans les regards transcendants de l' avocate Rita Mora et d' Emilia Perez, dans les couleurs poétiques de certaines scènes fulgurantes de densité et parfois de poésie , dans les paysages urbains clignotants et sombres, dans les moments factices des mondanités de la dictature du prêt à penser superficiel et convenu , dans le scénario, certes sans surprise ,mais magiquement et originalement filmé.
Emilia parcourt une odyssée psychique relativement harmonieuse au début et de plus en plus complexe lorsqu ' elle côtoie ses deux enfants, son ancienne compagne de vie et vire au tourment lorsque la nature intime de cet homme jaillit comme une volonté de tout empoigner puis de tout vouloir contrôler et ainsi lier le passé , le présent et l'avenir à sa guise et qui devient inévitablement chaotique..........
"'Science sans conscience n' est que ruine de l' âme "( Rabelais).
Toute science ne saurait être idéologique mais l' utilisation qui en est (ou en sera ) faite est idéologique, politique ou philosophique. Par exemple, la gestation pour autrui peut faire entrer le capital dans le corps des humains ( location d' utérus pour acheter un enfant ) ou, sans argent, aider médicalement telle ou telle personne bénévolement.......... Idem pour la migration de genre ou de sexe et là encore le choix des mots ne saurait être neutre.
Quel est le point de vue de Jacques Audiard au sujet de cette odyssée? Rita Mora serait - elle la
plus proche de la pensée du réalisateur ? Je pense plutôt que oui et vous ?
Cordialement.
Gérard Michel