Hiver à Sokcho est adapté du roman du même nom écrit par Elisa Shua Dusapin et publié pour la première fois en 2016. Alors que le cinéaste Koya Kamura peinait à développer ce qui devait être son premier long-métrage, son producteur lui a recommandé la lecture de ce livre : "Ce dernier parlait d'identité, de métissage, et cela résonnait fortement avec mon histoire personnelle."
"Ayant déjà des images en tête en lisant le livre, je me suis très vite mis dans l’optique de l’adapter. Pour cela, j'ai fait appel à Stéphane Ly-Cuong, un auteur-réalisateur français issu de la deuxième génération vietnamienne dont toutes les œuvres parlent de la filiation, du déracinement et de la double-culture. C'était donc le partenaire parfait pour ce projet", se rappelle-t-il.
Le roman met en place une relation ambigüe entre Soo-Ha et Yan Kerrand. Pour son film, Koya Kamura voulait quelque chose de plus confus, davantage porté sur la filiation et la paternité. Il précise : "Il y a certes une confusion, mais elle vient plus de Soo-Ha car à ce moment-là de sa vie, elle est un peu perdue. La deuxième difficulté concernait le point de vue. Dans un roman, on peut expliquer avec des mots ce qu'il se passe dans la tête du personnage, ses émotions ou sa vision du monde - la sienne, très cynique et corrosive me plaisait d'ailleurs beaucoup."
"Mais pour retranscrire cela à l'image, il faut trouver des feintes. L'une d'elles est la voix off mais cela impliquait que l'émotion soit déjà analysée et je la voulais brute, organique, voire incompréhensible parfois. La solution que j'ai trouvée a finalement été l'animation."
L'idée de ponctuer le film par des interludes d'animation est venue à Koya Kamura dès la lecture du livre. Le metteur en scène confie : "Ces interludes s'imposent comme des élans du subconscient de Soo-Ha, son imaginaire et ses émotions. Ils sont tantôt figuratifs, tantôt abstraits et reflètent le sentiment du spectateur qui n'est pas sûr de tout comprendre. Ils sont de l'ordre de la sensation. Agnès Patron, la réalisatrice d'animation, a apporté un style graphique qui prend parfois la forme d'une simple ligne qui se trace ou d'une goutte qui tombe."
"Ces séquences d’animation apparaissent à partir du moment où Soo-Ha espionne Kerrand en train de dessiner, où elle découvre sa frustration d'artiste. Il déclenche un début de questionnement, une forme de doute chez la jeune femme, qui ouvrira des discussions avec sa mère."
Pendant le tournage, Koya Kamura a eu la chance d'avoir sur place un producteur exécutif, Yoon Seok Nam, qui est ensuite devenu coproducteur du film. Vivant en France et parlant couramment français, il a été d'une aide très précieuse, jusque dans les dialogues dont il s’assurait qu’ils sonnaient juste en jouant le rôle de coach vocal. Le réalisateur se souvient :
"Grace à toutes ces forces vives, à l'engagement et à la solidarité des équipes, nous avons pu mener à bien ce projet et le réaliser malgré un petit budget, dans un pays où depuis Squid Game et Parasite, tout le monde veut tourner et où les techniciens sont devenus chers. Par ailleurs, Sokcho est une ville intéressante car elle est à la croisée de la montagne et de la mer."
"A la lecture du roman écrit en 2015, je l'imaginais comme une petite ville portuaire vieillissante. Or, quand j'y suis allé pour les repérages, elle avait beaucoup changé : des quartiers entiers de maisonnettes avaient été détruits pour laisser place à des tours gigantesques. Nous avons donc choisi de modifier légèrement le scénario en évoquant une ville en mutation."
A l'image, Koya Kamura a travaillé avec Elodie Tahtane, directrice de la photographie que le cinéaste avait rencontrée sur le tournage d'une publicité : "Lorsque nous avons évoqué ensemble ce projet, on a tout de suite eu des références communes. De mon côté, je pensais beaucoup à Maborosi, un film de Koreeda tourné avec une caméra lourde qui apportait des plans fixes et beaucoup d'inertie ; elle m’a de son côté apporté des références picturales comme l’œuvre du peintre danois Hammershoi."
Au moment d'achever l'écriture du scénario, Koya Kamura a visionné Roubaix, une lumière d'Arnaud Desplechin, dans lequel le Commissaire Daoud que Roschdy Zem incarne ressemble beaucoup au personnage que le réalisateur a écrit pour Hiver à Sokcho : "Un homme taiseux, doté d'une présence à la fois puissante, discrète et élégante. Je n’aurais en revanche jamais imaginé avoir l’opportunité de travailler avec un tel comédien sur un premier film comme le mien."
"Quand je l’ai rencontré, il s'est montré très à l'écoute de ce que j'avais à dire sur le rôle. Au-delà du charisme de Roschdy et de son talent d’acteur, j'aimais qu’il ne soit pas caucasien car je me retrouvais dans cette dichotomie entre l'apparence physique et les origines, et j'aimais l'idée qu’on puisse projeter plein de choses sur ce normand qu’est Kerrand."
Koya Kamura avait un directeur de casting coréen et connaissait certains des acteurs comme Tae-Ho Ryu, qu'il avait vu dans Memories of Murder de Bong Joon Ho dont il était la caution comique : "Sa présence au casting me permettait d'apporter une touche d'humour et de légèreté nécessaire à ce film assez lourd et peuplé de personnages sérieux."
"Pour la mère, j'ai rencontré une bonne dizaine d'actrices et Mi-Hyeon Park s'est détachée très vite des autres car elle était capable de montrer des facettes très différentes de son personnage."
Il a été très compliqué de trouver l'interprète de Soo-Ha car Koya Kamura recherchait une femme métisse parlant couramment coréen et français. Le metteur en scène voulait aussi qu'elle soit grande, pour dénoter par rapport aux autres Coréennes et surtout pour casser l’idée d’une éventuelle domination qu’aurait pu avoir Kerrand sur elle. Il se rappelle :
"J'avais en tête un personnage trop grand pour son corps qui se cogne un peu partout, car je voulais poser la question de l'enveloppe corporelle et de comment on s’y sent. Une fois tous ces critères posés, il ne restait plus beaucoup de candidates. J'ai rencontré quatre jeunes femmes dont aucune n'était comédienne mais dont trois étaient mannequins (pour la taille exigée)."
"Parmi elles, Bella s'est imposé avec des interrogations extrêmement pertinentes : la moitié était des questions que je m'étais posées et l'autre était des questions que j'aurais dû me poser. Cela m'a permis de réaliser que dès la lecture du scénario, elle avait tout compris du personnage de Soo-Ha. Cela ne l'a pas empêchée de travailler trois mois avec un coach avant d'être confirmée."