Aaaah l’affaire Dominici : une affaire qui défraya la chronique et fit couler beaucoup d’encre. Et pour cause ! Un crime sordide sur des touristes britanniques dont on se demande aujourd’hui s’ils n’attendaient pas justement de subir un destin aussi funeste en se posant là où ils se sont posés. Seulement voilà : nous sommes en 1952 et à cette époque-là, on ne risquait pas grand-chose à la croisée des chemins car c’était une époque où on s’entraidait beaucoup, notion héritée sans doute par la nécessité de reconstruire le pays après la Seconde Guerre Mondiale. Mais les habitants de la France profonde ont la dent dure tant ils tiennent à leur espace vital constitué de leurs terres si durement acquises et tant ils aspirent à la tranquillité, ce qui ne manque pas de susciter parfois quelques menues rancœurs. Mais voilà que cette tranquillité est contrariée d’abord par ces touristes anglais qui choisissent de se poser à mi-chemin entre La Brillanne et Peyruis, point auquel se trouve la Grand’Terre, la ferme familiale des Dominici ; ensuite par le massacre de cette petite famille. De quoi bousculer non sans agacement la vie des Dominici, eux qui ont visiblement l’habitude de régler les problèmes en catimini. Cette rustrerie, d’une certaine manière compréhensible, est assez bien rendue. Principalement pas Jean Gabin. En effet, il a pris le rôle très au sérieux et il le fallait, surtout quand on connait la tournure des événements. Pour ce faire, il s’est penché sur les notes de Jean Giono relatives à cette affaire et au caractère des différents protagonistes. Malgré tout, Jean Gabin reste Jean Gabin et bien qu’il rende une copie plus qu’honorable, il donne plus ou moins l’impression au spectateur qu’il ne fait que du Jean Gabin avec sa façon de dodeliner de la tête quand son personnage se met en colère, ou avec ses fameux « Tiens donc ! ». Quand bien même, on sent tout de même que le personnage essaie de se détacher de cette sale histoire venue telle une intruse sur ses terres et de se protéger du déferlement médiatique. En cela, Jean Gabin rend une excellente copie et nous gratifie même d’un adieu très court et néanmoins déchirant en sortant du tribunal. Après, dans l’ensemble, on ne peut pas dire que le film de Claude Bernard-Aubert n’a pas un peu vieilli. Tout simplement parce qu’aujourd’hui, on ferait probablement un long métrage plus détaillé. Encore qu’on ne peut pas reprocher au réalisateur/coscénariste de s’en être tenu aux faits tels qu’ils sont connus. La reconstitution est faite avec les accessoires en tous points similaires : le fusil US M1 calibre 30, la Hillman verte… et puis les lieux avec le pont par lequel la fille Drummond a tenté de s’enfuir. Ce n’est pourtant pas le lieu précis du triple meurtre qui a servi, la scène du crime ayant été tournée à une vingtaine de kilomètres. Mais c’est à s’y méprendre. La reconstitution s’est voulue rigoureuse et ça, on ne peut le nier. Ainsi le spectateur se rend compte des limites des investigations de l’époque, avec notamment le formidable brouillage des pistes distillé par les Dominici. On notera tout de même l’absence de parti pris de la part des scénaristes et du réalisateur, même si la police, la justice, les journalistes, en prennent pour leur grade. C’est le cas également de la culture du silence, des idées toutes faites ou encore de l’opportunisme de certains pour se débarrasser de ceux qu’on considère comme des gens néfastes. Et puis il y a cette conclusion inattendue, totalement originale, véritable réquisitoire sur les manquements de la justice et de cette capacité que nous avons tous plus ou moins à se laisser influencer par les mots. Je comprends bien évidemment le narrateur, et bien que je lui donne entièrement raison, je trouve cette allocution un poil trop moralisatrice. Un film maîtrisé, rythmé juste ce qu’il faut pour ne jamais s’ennuyer, ce qui constitue une prouesse car aucune musique n’accompagne ce film, le laissant reposer sur le talent des différents acteurs, qu’ils s’appellent Jean Gabin, Victor Lanoux, Paul Crauchet, Gérard Depardieu, Geneviève Fontanel. Et si vous êtes attentifs, vous reconnaîtrez peut-être Jean-Pierre Castaldi. Et si on parle encore aujourd'hui de cette affaire, plus de 70 ans après, c'est parce qu'elle sert de référence; Si vous voulez savoir pourquoi, alors regardez "L'affaire Dominici" version 1973 : ce film ne ment pas.