Un voyage troublant et enchanteur dans le milieu forain... La Strada est un film très particulier, il s'y passe beaucoup de choses mais on a l'impression qu'il ne s'y passe rien, et pourtant on est fasciné. C'est typiquement un film sur lequel j'aurais du mal à mettre des mots, un film qui fait rentrer le spectateur dans un rapport intime aux personnages. On s'émeut de Gelsomina, cette jeune femme livrée par sa mère à un forain dont elle n'arrivera jamais, malgré les nombreuses occasions, à se libérer de l'emprise. Le visage solaire de la grandiose Giulietta Masina rayonne de candeur et de mystère. Les expressions de son visage, son regard immense et sa gestuelle lui donnent une aura incroyable et mélancolique, celle d'un clown triste. Rarement un personnage de cinéma ne m'aura semblé si intriguant et envoutant. On a l'impression de ne jamais cerner ce qu'il y a sous la carapace de cette femme-enfant, souvent présentée comme simple d'esprit par ceux qui parlent du film. Sa moue boudeuse réussit à attendrir et interpeller le spectateur au delà de l'écran. C'est fou, car on s'attache à la relation de Zampano et Gelsomina alors que rien (ou presque) ne bouge entre ces deux êtres isolés : elle attendant un signe qui ne vient jamais et lui se refusant à ouvrir les yeux sur elle. Et pourtant, on termine La Strada avec un immense sentiment de nostalgie et de solitude : elle était tout pour lui, il était tout pour elle, et on le sait même si jamais Fellini n'en fait des tonnes pour nous donner à voir l'intensité de la relation de ces deux solitaires. Cette scène finale est réellement prenante et bouleversante. La Strada est d'ailleurs une véritable leçon de cinéma dont le statut de classique ne m'étonne en rien : tout est filmé à la perfection avec de magnifiques travellings, et la caméra capte les émotions. Le passage le plus magique du film est pour moi celui où les regards de Gelsomina et celui d'Il matto se croisent pour la première fois (alors qu'il rentre dans sa voiture après son numéro de funanbulisme). Il faut le capter, car il est court, mais c'est un de ces instants où on a l'impression qu'il n'y a plus ni acteurs, ni metteurs en scène, ni caméra. Un de ces instants où on a l'impression d'assister à une bribe de vie. Le personnage d'Il matto, seul à comprendre et savoir parler à Gelsomina, amène une très belle réflexion sur la vie et la place de chacun dans l'univers. Si je ne mets pas la note maximale à la Strada, c'est parce qu'il manque à mes yeux un peu de concision. Mais ce film est une véritable expérience, une interaction entre acteurs et spectateurs, un film qui nous berce tout du long par sa langue mélodieuse (ça donne envie de se mettre à l'italien) et sa musique superbe, et qui reste en tête après s'être terminé ...