Une soirée délicieuse d'où l'on sort euphorique, même.... si on peut avoir des réserves sur la mise en scène. Mise en scène virevoltante, délirante, mais non dépourvue de vulgarité. En particulier, le dernier acte ne se déroule pas dans une auberge viennoise, mais Au Minet Galant.... (Comment le commissaire de police peut il voir en Mariandel une innocente abusée quand elle se promène en porte jarretelles sous un jupon transparent?) Non, Hugo von Hofmannstahl n'est pas Feydeau! J'ai été étonnée de voir qu'elle était de Robert Carsen, qui certes n'est pas un adepte du Regietheater.... mais donne en général dans le bon genre.... La transposition à l'époque de Richard Strauss n'est pas une mauvaise idée en soi, mais la mise en scène de Carsen oblitère la critique sociale, discrète certes, mais réelle, et fait surtout un peu passer au second plan le joli personnage de la Maréchale qui voit sa jeunesse s'éloigner et se demande comment il est possible d'être une vieille dame quand on se sent encore gamine dans sa tête. Mais, comme tous les merveilleux personnages de femmes décrits par Strauss /Hofmannstahl, elle n'en fait pas un drame, elle ne vit pas dans un drame.
Enfin, cette mise en scène permet à Günther Grossböck de vampiriser, de phagocyter la scène!; quand il est présent, on ne voit que lui, au détriment des dames qui sont pourtant bien charmantes. Ses capacités d'acteur, et ses dons comiques nous laissent sans voix.... Il est devenu le baron Ochs qu'on s'arrache, et qui nous épate toujours tant on est habitués à le voir grave, sombre, dans son répertoire wagnérien. On a l'impression que, complètement en roue libre, il s'écrie: "y en a marre d'Henri l'oiseleur, de Gurnemanz, de Pogner, de Hunding et des autres! Aujourd'hui, j'rigole!" Ochs est le plus souvent interprété par un chanteur d'âge, bien ventripotent. On lui pardonne d'être un peu mufle.... Voir Ochs interprété par un chanteur jeune et bel homme n'en rend le personnage que plus infect.
La ravissante Erin Morley (je l'avais appréciée dans Dialogues de carmélites) est une jolie Sophie, à la voix limpide et délicieuse. Elle fait bien ressortir le côté ambigu de celle qui était toute prête à épouser n'importe qui, et à remettre à sa place les importuns qui la snoberait, pour devenir une véritable aristocrate. Non seulement elle n'est pas angoissée par ce mariage forcé, mais elle l'attend avec ravissement; ce n'est que l'incroyable grossièreté du baron qui vient l'acheter comme une vache qui va la faire revenir sur le plan de Papa Faninal (Brian Mulligan)
La très jeune Samantha Hankey est un Quiquin épatant. Là encore, des qualités scéniques indiscutables, à tel point que c'est en Mariandel qu'elle nous apparait travestie...
Maintenant, reste le cas de Lise Davidsen, dont les qualités vocales ne sont plus à prouver..... Bien qu'elle chante avec beaucoup de sensibilité, cette gigantesque viking ne peut faire oublier la poésie de Renée Fleming dans le même rôle. Ce n'est pas forcément parce que l'on est une wagnérienne accomplie qu'on est une straussienne. L'inverse est vrai: Renée Fleming aurait pu chanter, par exemple, Senta ou même Elsa (elle a chanté Eva, une fois) Mais elle a mené sa carrière avec bien trop de sagesse pour s'aventurer dans des rôles "qui n'étaient pas son genre"
Globalement donc, une soirée euphorisante....