Un père et sa fille passent un séjour dans un club de vacances en Turquie...
Un regard anonyme qui se poserait par hasard sur ce duo s'arrêterait sans doute sur cette banale description, peut-être les prendrait-il pour un frère et une soeur tant ce père a des traits juvéniles mais il ne se poserait pas plus de question et les observerait une seconde -peut-être même avec un sourire tant ces deux-là semblent complices- avant de passer à autre chose.
Mais "Aftersun" n'est pas raconté d'un point de vue anonyme.
Derrière les quelques images éternelles de lumière enregistrées par la caméra de l'enfant s'agglomèrent en réalité la mosaïque de souvenirs de la femme arrivée aujourd'hui au même âge que son père et qui tente par tous les moyens de déceler des indices de ce qui cachait au-delà de leur relation fusionnelle, bien réelle.
Et, si ce premier film de Charlotte Wells (en partie autobiographique) capte de prime abord les instants les plus simples de ce séjour, au travers du lien entre un père qui l'est sans doute devenu un peu trop tôt et une fille positionnée dans l'entre-deux de l'enfance et de l'âge adulte (avec les tiraillements et émotions contradictoires que cela implique), sa caméra va sans cesse aller y chercher ce point de vue extérieur futur qui s'interroge, qui tente de trouver un sens, une réponse à quelque chose qui n'en a pas forcément derrière la normalité du quotidien. En cela, la caméra de Wells devient un objet de traque mémorielle tout bonnement brillant, nous invitant à observer les reflets, les silhouettes en arrière-plan, les réactions gardées pour soi, les regards qui échappent aux autres, tout ce qui pourrait être considéré comme une réminiscence d'un être omniscient qui se donnerait les moyens d'explorer les méandres inconscients de cette parenthèse du passé.
Avec une délicatesse infinie, ces instants de normalité prennent alors une portée émotionnelle exponentielle, faisant parfois fusionner les silhouettes du père et de la fille comme pour mieux toucher au plus près la force de leur relation, puisant dans l'intelligence des cadres ou certains éléments des décors pour appuyer sobrement la densité des sentiments en train de s'y jouer, donnant un nouveau sens bouleversant aux paroles d'une chanson bien connue ou encore en élevant les paroles innocentes d'un enfant à une profondeur existentielle renversante. Cette quête perpétuelle de l'ombre derrière le soleil met absolument tout ce qui peut lui être utile devant ses yeux/objectif à son service avec une aisance et un naturel qui tutoient la perfection, l'impression de visiter les souvenirs d'un autre, avec ses interrogations, son flot chaotique d'émotions (magnifiquement symbolisée par une boîte de nuit infernale) sur ces instants déterminants de tout un chemin de vie, est constante et nous emporte peu à peu, sans crier gare, dans cette obscurité couvante qui s'est dessinée autour de son héroïne pour, on l'imagine, ne plus la quitter.
Parmi tous les magnifiques biais dont use Charlotte Wells afin de nous faire ressentir de façon quasi-palpable le désemparement qui submerge l'écran (derrière pourtant l'amour constant d'une fille envers son père qui y transpire), on ne pourra que saluer l'immense prestation de son duo de comédiens, la jeune révélation Frankie Corio et Paul Mescal qui confirme qu'il est un grand, ces deux-là auront mêlé la lumière et l'ombre de leurs personnages avec une osmose contagieuse.
Un grand film à propos du regard d'une fille sur un père qu'elle cherche toujours à saisir.