Il fallait le savoir-faire documentaire de Denis Gheerbrant pour que les êtres qu’il filme en compagnie de la Caucasienne Lina Tsrimova dans une décharge géante proche de Bichkek, capitale du Kirghizistan, apparaissent, malgré la rudesse de leur travail et ce Léviathan environnemental, dans tout leur éclat. La Colline (sélection ACID 2022) est une immersion chargée de respect pour les personnes et les lieux. Acceptés car il faisait un documentaire et non un reportage, les mafieux qui la gèrent les ont autorisé à filmer la décharge. Des hommes et femmes qui y travaillent, tous exilés ou dépossédés, se sont ouverts à eux. Comme les chiens errants qui la parcourent, ils sont cassés par la vie, broyés comme les ordures, marginalisés comme les déchets. Mais d’une telle beauté ! Aliocha a de l’humour et toutes les attentions envers son mari Alexandre, ancien combattant russe durant les guerres en Tchétchénie, hanté par le massacre de Grozny. Tadjikhan, au destin tragique, porte en elle sans la laisser paraître toute la douleur du monde. Keyrat, son fils, tente d’élaborer un avenir. Quant à l’adolescente Djazira, elle est lumineuse malgré l’impasse de sa vie.
Les feux qui illuminent la nuit et les tas d’immondices peuvent donner de belles images, mais elles ne sont signifiantes que dans la puissance d’un montage et d’un cadrage simples et généreux. La relation a permis de ne tourner que quinze heures sur un mois : une fois la confiance établie, chacun allait à l’essentiel. C’est l’humanité des invisibles qui est là, que l’image manifeste en écho à leur parole. Si bien qu’au-delà du témoignage, cette alchimie du partage nous touche en plein, celle de l’exigence de dignité. (compte-rendu de Lussas 2022 sur Africultures)