"Je vis avec l’histoire de Joyland depuis très longtemps. Aujourd’hui, quand je repense au passé, je me rends compte que mon esprit de jeune adulte a accueilli avec beaucoup d’émotion ce récit, totalement fictif mais autobiographique, comme un cadeau."
"C’est devenu le moyen de questionner mon propre statut de jeune homme qui n’a jamais été suffisamment viril pour vivre dans une société patriarcale. En grandissant, j’ai découvert les personnages de Joyland qui grandissaient avec moi, comme quelques amis qui traînent ensemble après la fin de l’école."
"En affrontant les notions de désir, de tradition, de masculinité, de famille et de liberté, ces combats sont devenus leurs combats. Quand je me mettais trop en colère, ils m’apprenaient à avoir de l’empathie. Quand ils étaient trop désabusés, je faisais une blague ou je les emmenais dans un parc d’attraction."
"En fin de compte, leur catharsis est devenue la mienne. Joyland s’attache à « déromantiser » un récit initiatique et se présente comme un hommage à toutes les femmes, à tous les hommes, et à tous les transgenres qui paient de leur vie le poids du patriarcat."
"Le film célèbre aussi le désir qui tisse des liens inattendus et l’amour qui les immortalise. En fin de compte, c’est surtout un message d’amour adressé à ma patrie."
Joyland est issu d’un amalgame de choses ressenties et vécues par Saim Sadiq depuis qu'il est enfant. Pendant l’écriture, le scénario a continué d’évoluer en même temps que ses idées politiques. Le metteur en scène explique :
"Je me suis toujours dit « Je dois le faire, et je vais le faire. » Le défi aujourd’hui, c’est de continuer à vivre sans lui, maintenant que je l’ai partagé ici, à Cannes. La bataille commence finalement maintenant, pour moi !"
Beaucoup de personnages du film sont inspirés de la propre famille Saim Sadiq, même si ce dernier n'a pas de frère et qu'il n'est pas marié. Le cinéaste précise : "L’histoire est une fiction, mais les dynamiques qui se jouent dans cette famille sont similaires à celles que j’ai connues."
"Par exemple, ma mère, occupée toute sa vie au travail ménager, et la façon dont elle a été traitée d’une certaine manière, et le fait que ce soit très bien pour tout le monde. Je me souviens, enfant, d’avoir ressenti que tout ça était bizarre, et à la fois d’avoir utilisé ce privilège."
"Je me permettais parfois d’être un peu impétueux avec ma mère, chose que je me serais absolument jamais permise avec mon père, jamais."
Le film a été présenté dans la section Un Certain Regard au Festival de Cannes 2022. Saim Sadiq se rappelle : "Cela a été reçu avec beaucoup de joie. Depuis la projection, lundi 23 mai, c’est la folie. Mon téléphone n’arrête pas de sonner, je reçois plein de messages sur Instagram, on en parle aux infos, des gens téléphonent à mes parents..."
"D’ailleurs, ils sont un peu en colère car je n’ai toujours pas réussi à les appeler ! Ils ont vu la standing ovation, ils m’ont vu pleurer, ils voudraient m’avoir de vive voix, mais je n’ai pas encore eu le temps..."
Le Pakistan repose sur un système très patriarcal. Mais, selon Saim Sadiq, il s'agit également (et paradoxalement) d'un pays où les femmes trans sont très visibles et très importantes : "Il est impossible de se balader dans la rue sans en croiser une. Elles seront très probablement en train de mendier, mais elles sont là, elles ne se cachent pas."
"La coexistence, bien qu’elle soit superficielle, existe bel et bien. Elles ont toujours été là. Avant la colonisation britannique, elles avaient un meilleur statut social. Elles étaient associées à la poésie, aux princesses, aux bonnes manières. La colonisation, parmi bien d’autres choses, a complètement détruit cette particularité culturelle", précise le cinéaste.