Un film dont on sort très malheureux. Un film qui convertirait à l'antispécisme le plus enragé des bouffeurs de chateaubriands saignants. Le mal qu'on leur fait, à ceux avec qui on devrait partager honnêtement la planète... Je ne suis pas très émotive, au cinéma, en général; mais là....
Le prolifique Jerzy Skolimowski qui, depuis "Le couteau dans l'eau" (où nous l'avions découvert comme dialoguiste), a réalisé pas mal de films, quelquefois commerciaux, parfois ratés, et de toute sorte: drames sociaux mais aussi policiers, comédies.... a décidé à 84 ans de parler de ce qui le touche le plus: la nature et les animaux (il nous le dit au moment du générique de fin), et a fait un film personnel, absolument pas commercial pour le coup (et qui pourtant a beaucoup de succès). Et a réalisé un chef d'oeuvre, sans doute son chef d'oeuvre.
Un film quasiment sans dialogues, sans héros, juste des silhouettes qui passent (comme l'impériale Isabelle Huppert en mère indigne d'un étrange prêtre), tandis qu'EO passe, lui, de main en main. Ce sont les années de vie d'un petit âne triste et fugueur. Les hommes, ces silhouettes? Ils sont souvent moches, ridicules. EO voudrait juste retrouver la seule qu'il ait aimé, Kasandra (Sandra Drzymalska), celle avec qui il faisait un numéro au cirque... Oui, mais voilà, les écolos sont arrivés: "Non aux cirques avec animaux!", depuis le petit âne est balloté d'un endroit à l'autre, et toujours il se sauve, part au hasard sur les routes, pensant, sans doute, retrouver Kassandra? Mascotte éphémère d'une équipe de foot qui va se faire casser la gueule par l'équipe perdante qui en profite pour tabasser EO à mort, jugé responsable de leur défaite..
Animaux en cage, renards enfermés aux yeux fous; cheval -un magnifique arabe hyper-typé- que la réclusion au box rend dingue; loups que l'on abat, sans qu'on sache s'ils avaient commis des déprédations; et vaches d'élevage intensif, à qui EO emboite le pas, dans le besoin sans doute d'une présence animale, dont le seul sort est d'être conduites à l'abattoir.
Mais alliée avec les animaux, il y a la nature filmée avec une splendeur, une poésie, un mystère aussi jamais atteints. Images oniriques, on suit le cours d'un ruisseau cascadant, on voit l'horizon devenir rouge sang, un Grand Duc impérial et terrifiant règne sur la forêt. C'est sublime....