En restant au niveau du titre, "Le Barrage" pourrait être le versant africain du « Still Live » du chinois Jia Zhangke (2006) ; là où la construction du gigantesque barrage des Trois Gorges avait pour conséquence la destruction de villages entiers et les déplacements de population…
Dans le film de Ali Cherri, le barrage n’est pas explicitement au centre de la narration…Le barrage en question est le gigantesque barrage de Mérowé, construit par les chinois, le deuxième en importance après Assouan, situé en amont de la quatrième cataracte du Nil, à 350 km au nord de Khartoum et proche du Gebel Barkat, promontoire rocheux qui domine le site de Napata ancienne capitale du royaume de Kouch, d’où étaient issus ces pharaons noirs, qui ont régné sur l’Egypte Antique antique…
Pour son premier long métrage, l’artiste et réalisateur libanais Ali Cherri a donc posé sa caméra dans cette région du Soudan (pays rarement filmé), et dans un contexte de bouleversement politique du pays.
Nous observons des africains travailler dur sous un soleil de plomb. Le paysage est traversé par une route poussiéreuse, qui longe de magnifiques rochers et de fabuleux horizons à l’infini. La caméra circule entre les corps et les briques, qui semblent ne faire qu’un. Le film s’attarde sur la façon traditionnelle de faire ces briques à base de boue et d’eau du Nil et qui sèchent au soleil. C’est un travail d’équipe exténuant, mais rien, ou presque, n'est montré qui permette de savoir à quoi est destiné ce qui est fabriqué et pourquoi, puisqu’à part les quelques masures de pisé où dorment les ouvriers, on ne voit aucune habitation… À la fin de la journée, les hommes se baignent dans les eaux du fleuve….Cette terre isolée reçoit cependant quelques signaux du monde extérieur…. À la radio, les bulletins d’informations évoquent les révoltes et les manifestations contre la dictature d’Omar al-Bashir, et son renversement après le coup d’État de 2019….La caméra s’arrête sur un homme, Maher, il est au téléphone, l’appel terminé , il refuse de se baigner avec ses collègues et saute sur une moto qu’il a empruntée…Il traverse des étendues arides où apparaissent les vestiges de pyramides …rappel du royaume de Kouch ??? ce n’est pas précisé…Arrivé à destination il se retrouve devant un étrange édifice de boue et de branchages , dressé un peu à la façon du pouce de César ….qu’il bâtit un peu plus chaque jour en lui faisant prendre figure humaine.. La monstruosité de cette sculpture de terre, qui finira par se disloquer un jour de violent orage, et qui obsède le personnage au point de hanter ses rêves et de lui parler dans une langue inconnue, intrigue le spectateur et le désarçonne, d’autant que s'adjoint à cette énigmatique construction une tout aussi mystérieuse plaie qui meurtrit le dos du personnage, avec un écho entre cette blessure et la terre craquelée…
Malheureusement, l’ensemble paraît vain voire prétentieux même s’il peut être esthétiquement plaisant... Le film se veut une allégorie, mais parfois, le symbolisme est aussi trouble que le labeur effectué par l’ouvrier Maher… Au final, le film d’Ali Cherri devient une caricature d’art contemporain : allier la lenteur, la quasi absence de dialogues, des notes de synthétiseur et des touches de bizarrerie ne suffit pas . La mise en scène épurée sonne plutôt creux, en caressant de manière superficielle tout ce qui aurait pu rendre ce récit bien plus riche. J'ai eu l'impression d'un film avec beaucoup d'idées très belles, mais qui n'avait jamais vraiment trouvé sa matière, son lieu, ses axes de caméra, le fil le plus solide de son récit… la forme d'un voyage initiatique qui ne décolle jamais vraiment, engoncé dans un symbolisme qui ne dit pas son nom …. On nous suggère que Maher doit débloquer le barrage qui existe métaphoriquement en lui, et physiquement dans le monde extérieur. Le résultat est que le message du film est si obscur qu’il laisse de la place à de nombreuses interprétations….
Le film ne trouve jamais vraiment le lien entre sa piste fantastique et le propos politique qu'il sous-tend . Ainsi, pourquoi refuser de traiter plus en profondeur les enjeux sociétaux ou écologiques du barrage. Les suggestions et les symboles peinent à satisfaire le public …surtout si celui-ci est plus avide de géopolitique que d’art élitiste. Et malgré une durée d’1h21, "Le Barrage" semble interminable…