On ne peut que se réjouir d'assister au retour à Marseille de Robert Guédiguian après son escapade à moitié réussie au Mali : c'est en effet à Marseille que, à mon avis, tous ses meilleurs films ont été tournés. On ne peut que de réjouir, également, de retrouver chez lui une forme d'optimisme, certes très mesurée mais qui tranche quand même avec le pessimisme de "Gloria Mundi". C'est fou comme la ressemblance entre Guédiguian et Ken Loach est importante sur ce sujet : depuis des années, ils alternent optimisme plus ou moins mesuré et profond pessimisme.
"Et la fête continue !" ne commence pas dans la joie et l'allégresse, avec les images d'archives de l'effondrement des 2 immeubles de la rue d'Aubagne le 5 novembre 2018, effondrement qui a causé la mort de 8 personnes et mis beaucoup d'autres à la rue. Le film va se placer ensuite au sein de la famille de Rosa, prénommée ainsi en hommage à la militante révolutionnaire Rosa Luxemburg. Rosa est infirmière à l'hôpital de la Timone et militante chez les écolos. Alors que les élections municipales de 2020 se rapprochent, elle se bat avec véhémence pour que, enfin, les différents partis de gauche s'entendent pour mettre à la tête de la mairie une équipe apte à prendre en compte ce que le peuple marseillais attend et capable de faire en sorte que des drames comme celui de la rue d'Aubagne n'arrive plus jamais. A noter que Robert Guédiguian ne se cache pas (c'eut été difficile de s'en cacher !) d'avoir été inspiré par l'histoire de Michèle Rubirola, qui mena la liste du Printemps Marseillais vers la victoire en 2020.
"Et la fête continue !", vous l'avez compris, a donc une composante politique importante avec un fort message donné par Guédiguian à la gauche française avec des propos comme "on ne peut pas gagner quand on fait tout pour perdre" ou "la bourgeoisie peut dormir sur ses 2 oreilles : on ne gagnera jamais". En pointillé : ce que Marseille a réussi à faire, pourquoi la France n'arriverait-elle pas à le faire ? Film dans lequel la politique est présente, oui, mais pas que, loin de là : c'est aussi un plongeon dans une famille arménienne de Marseille, une famille au sein de laquelle la situation au Karabagh est suivie de près ; c'est aussi un film qui nous parle avec tendresse de 2 histoires d'amour ; c'est aussi un film qui, au travers de Rosa et de sa collègue Laetitia, nous parle de l'état désastreux de l'hôpital public, abandonné à son triste sort par les gouvernements successifs ; c'est aussi, et peut-être surtout, un film qui nous parle d'une autre façon de faire de la politique, une façon de faire qui rencontre un certain succès chez les "jeunes", moins dogmatique, plus près des choses concrètes, celle des associations, des comités de quartiers. A ce sujet, les spectateurs attentifs remarqueront qu'à deux ou trois reprises, on peut voir des affiches de SOS Méditerranée apparaître à l'écran. Par ailleurs, Robert Guédiguian s'est fait à lui-même un petit clin d'œil en plaçant une affiche de "Le voyage en Arménie" dans l'appartement de Rosa. Quant aux marseillais, ils ne manqueront pas de reconnaître le théâtre Sylvain, vers la fin du film, un théâtre en plein air qui se situe sur la Corniche, à proximité de l'hôtel où loge Henri, le père d'Alice, la fiancée de Sarkis, fils de Rosa, Henri, un ancien libraire venu de Haute-Savoie pour rendre visite à sa fille, un homme de grande culture dont Rosa va tomber amoureuse et réciproquement.
Quant à l'interprétation, c'est simple : il continue de tourner avec sa "troupe", avec Serge Valetti comme coscénariste, avec Pierre Milon comme Directeur de la photographie et avec les fidèles et remarquables comédiennes et comédiens Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Lola Naymark, Robinson Stévenin, Gérard Meylan, Grégoire Leprince-Ringuet. On note qu'Anaïs Demoustier n'est pas là (absence provisoire ?) et que la lumineuse Alicia Da Luz Gomes revient après être apparue dans "Twist à Bamako". C'est dans un petit rôle, celui du père de Rosa que celle-ci voit dans ses rêves, qu'on peut voir aussi Xavier Mathieu, qui fut délégué syndical de la CGT dans l'usine Continental AG de Clairoix et qui s'est reconverti comme comédien, n'ayant de toute façon plus la possibilité de retrouver un poste dans l'industrie !
On peut remarquer quelques temps faibles dans "Et la fête continue !" mais, par ailleurs, que de scènes très fortes et/ou très émouvantes dans ce film ! Une émotion que, bien sûr, un certain public n'arrivera jamais à comprendre et, encore moins, à partager. Ken Loach a 87 ans et on peut craindre que "The old oak" ait été son dernier film. Robert Guédiguian n'a pas encore 70 ans (il les aura le 3 décembre), on peut donc espérer le retrouver bientôt dans un nouveau film. Sera-t-il, cette fois ci, optimiste ou pessimiste ?