A l’ombre d’Homère
Depuis 1981, Robert Guédiguian nous parle sans relâche de politique, des petites gens qui sont le creuset de notre société, d’amitié et de… Marseille. A 70 ans et pour son 23ème film, il nous offre ce cadeau de 106 minutes de tendresse et d’intelligence. A Marseille, Rosa, 60 ans, a consacré sa vie à sa famille et à la politique avec le même sens du sacrifice. Tous pensent qu’elle est inébranlable d’autant que Rosa est la seule qui pourrait sceller l’union de la gauche à la veille d’une échéance électorale décisive. Elle s’accommode finalement bien de tout ça, jusqu’au jour où elle tombe amoureuse d’Henri. Pour la première fois, Rosa a peur de s’engager. Entre la pression de sa famille politique et son envie de lâcher prise, le dilemme est lourd à porter. Cette comédie dramatique parle à la fois de beaucoup de sujets graves – je vais y revenir -, mais notre arménien de la Canebière maîtrise son scénario, le rythme de son récit et baigne l’ensemble dans la mélancolie d’un passé qui n’est plus et d’un avenir qu’on voit mal se dessiner. Que du bonheur !
C’est le parcours de Michèle Rubirola, ancienne maire de Marseille, qui a inspiré Guédiguian lui donnant l’idée d’interroger le rapport que nous entretenons aujourd’hui avec l’action politique via quelques personnages de différentes générations. Car, parmi les thèmes traités dans ce film, il y a celui de la transmission entre les générations. Mais aussi, le malaise des Gauches incapables de s’entendre alors que, peut-être, le pouvoir était à leur portée, la cause arménienne, la crise à l’hôpital, le mal-logement, l’engagement politique et même, fugitivement, l’accueil des migrants. Pour un autre cinéaste, cela aurait été rédhibitoire, mais pas pour Guédiguian, qui assume, au milieu de tout ça, une superbe romance entre sexagénaires. Il fait, ici, ce qu’il sait faire le mieux : donner la parole à ceux qu’on écoute rarement. Faire parler les gens gris (sic). Son message est à la fois, teinté d’une pointe de désespérance mais aussi porteuse d’un autre avenir. Car même si le capitalisme a triomphé, il faut avancer en y croyant encore et toujours. On ne peut pas lui reprocher que son discours est toujours identique puisqu’il parvient à raconter à chque fois une histoire différente. Un magicien.
Ce qui ne change pas par contre, c’est bien sa « tribu », avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Lola Naymark, Robinson Stévenin, Gérard Meylan, Grégoire Leprince-Ringuet, Alicia Da Luz Gomez, rescapée de l’échappée malienne du réalisateur, qui, après son magnifique Gloria Mundi, qui était très sombre, revient avec ce film lumineux submergé de mélancolie joyeuse. En ces temps étranges de régression et d’égoïsme qui touchent toutes nos sociétés, un cinéaste ne peut se contenter de décrire la misère du monde, comme c’est trop souvent le cas. Il doit aussi montrer des voies nouvelles grâce auxquelles les idées de partage et de démocratie peuvent l’emporter… et ça fait du bien ! J’entends bruisser le mot « utopie »… et alors !