Mariage toxique
Qu’on aime ou pas le cinéaste russe Kirill Serebrennikov, il reste que Leto ou Le Disciple sont de très grands films. Nul doute que ces nouvelles 143 minutes de faux biopic n’ont pas fini de créer la polémique. Russie, 19ème siècle. Antonina Miliukova, jeune femme aisée et apprentie pianiste, épouse le compositeur Piotr Tchaïkovski. Mais l’amour qu’elle lui porte n’est pas réciproque et la jeune femme est violemment rejetée. Consumée par ses sentiments, Antonina accepte de tout endurer pour rester auprès de lui. Soyons clairs : Tchaïkovski, tout le monde le connaît, mais personne ne sait rien de lui. Donc, ce n’est sûrement pas à la vérité historique qu’il faut ici s’attacher, mais à un superbe portrait de femme qui répond à la douloureuse question « un génie peut-il tout se permettre ? »
Bien sûr, le personnage d’Antonina a bel et bien existé et le scénario nous dépeint une femme passionnée qui s’est brûlé les ailes au contact d’un « soleil » comme ce compositeur considéré comme un monument dans son pays. Le destin de cette héroïne est tragique : aussi incroyable que cela paraisse, elle se retrouve dans des situations terribles et traumatisantes, celles d’une femme victime d’un amour impossible. L’homosexualité n’est presque jamais évoquée dans ce film qui nous décrit ainsi une sorte d’hypocrisie d’une certaine classe dirigeante. Mais le film nous parle à la fois de l’exceptionnelle résilience d’une femme malmenée ou délaissée mais aussi d’une espèce d’amour vampirique, qui engendre et le remords et la tristesse destructrice. L’image est somptueuse, la mise en scène virtuose – en témoignent les deux plans-séquences exceptionnels du début et de la fin -, le montage est nerveux et l’interprétation très inspirée. Un gros regret tout de même, dans un film sur un des plus grands musiciens du XIXème siècle, on n’entend quasiment jamais sa musique… ballot, non ! Une héroïne incandescente dans monde sombre, une histoire d’amour pas comme les autres et une actrice hors du commun.
Pour trouver son interprète principale, Serebrennikov a vu défiler à peu près toutes les jeunes actrices russes, avant de choisir Alyona Mikhailova,qui trouve ici son 1er grand rôle… et quel rôle écrasant !?! Elle ne quitte pas l’écran et porte le film de la 1ère à l’ultime image. Une découverte envoûtante. Face à elle, Odin Lund Biron, dans le rôle du musicien – auquel il ressemble de manière étonnante -, est également parfait. Quand à la pléthore de rôle secondaires, jusqu’à la moindre silhouette, tout le monde est parfait et très investi dans cette aventure. Un carrousel cauchemardesque déguisé en drame intimiste, somptueusement romanesque, et, malgré ses excès, une nouvelle réussite d’une noirceur magnétique pour le cinéaste russe.