Il arrive sur ses petites pattes sans faire de bruit. À notre insu, l'air de rien mais fermement décidé. Cette engeance sait bien qu'elle peut infliger un sévère préjudice à sa victime puisqu'elle est armée jusqu'aux dents. Mais aujourd'hui, ce perfide animal à l'orgueil sans limites pousse l'ambition un cran plus loin. Il a bien révisé son Edward Bernay le scélérat, le voilà qui s'immisce sans honte parmi les plus grands manipulateurs de notre temps à égalité avec Machiavel, ma grand-mère et certain(e)s de vos ex. Son terrain de jeu ? Nos vénérées salles de cinéma, havre de culture, de partage et de plaisirs. L'arme employée ? le cinéma d'animation. La technique ? La bonne vieille feinte d'un récit poétique sur l'union en temps de crise. On a rien vu venir...Les comptes-rendus sur son passage sont formels : l'attaque est triomphale. Des images terribles.
N'écoutant que mon courage, ma bonne foi et mon mépris pour ce monstre qu'on nomme chat, je remontai la piste du fâcheux derrière Flow, même s'il a sûrement employé ce titre pour nous prévenir (Flow = déborder = noyade CQFD). Je reste cependant sceptique, car il y a manifestement la volonté chez Gints Zilbalodis de faire de l'art. De beaux arts. Tout le périple de son regrettable héros (le chat, qui d'autre ?) bâtit une passerelle entre le récit biblique (l'Arche de Noé) et la mise en scène axée sur l'immersion et le naturalisme comme on retrouve chez Alfonso Cuarón (modèle revendiqué par Zilbalodis). Plans-séquences majestueux, panoramas amples et percées oniriques. Voilà pour les références et il se pourrait même que le long-métrage soit à la hauteur d'une telle promesse. Allez, on passe !
...Quoique, quand je repense à la traversée de cette vieille cité engloutie, à cette fuite face au déluge, à ce moment en l'air...Magni...Non, reprends-toi !
Admettons, la partie visuelle est un bon point. Une imagerie 3D parfaitement travaillée et un univers en cohérence totale avec le propos. Et cette bande-son signée Rihards Zalupe...du miel dans les oreilles. Venons-en aux personnages, ces braves animaux. Enfin, sauf ce satané minou. Qui passe d'ailleurs l'essentiel du métrage à glander, chasser et se mettre en danger tandis que les autres se décarcassent pour subsister. Bref, un chat quoi ! Ah non, j'oubliais ! Il aime pas trop les nouvelles rencontres, il adore miauler pour aucune raison et balancer d'un coup de patte de précieuses choses, genre une pièce, une souris d'ordinateur ou votre shot de vodka (le saligaud). Ah ça, il est clair que Flow est parfaitement fidèle à la réalité pour ce qui est du comportement de cette race d'enquiquineurs imbus d'eux-mêmes.
Rien que les postures, changement de pupilles ou mouvements d'oreilles prennent le cœur...la tête, pardon ! On enchaîne, on enchaîne.
Les vénérables acolytes du félin que sont le chien aimant, le héron noble, le lémurien collectionneur et le brave capybara plein de courage sont tout aussi beaux et bien représentés. Et le plus dingue, c'est qu'on suit leur odyssée d'1h25 en occultant totalement le fait qu'il n'y a pas la moindre parole. À l'exception des sons émis par cette belle bande de survivants - dont les miaulements incessants de cet insupportable matou qui veut accaparer l'attention - la narration ne s'embarrasse d'aucune voix-off ou intertitres, ce qui rend le récit encore plus efficace. L'homme n'a pas besoin d'être présent pour qu'on ressente son spectre tout au long de Flow. Les ruines de la civilisation et la montée des eaux sont les deux vestiges attestant sa présence. Inutile d'en rajouter. Joyeux bilan !
L'humanité, vous la trouverez chez les premiers menacés. Ces charmantes bestioles dont nous serons les heureux convives. Oui.
...Hop Hop Hop, retour en arrière. Je veux dire le héron, le toutou, le lémurien et le caby, l'okapi...oh et puis zut le rongeur qui est super cool. Eux, ils sont bien. L'autre là, c'est limite.
Donc voilà, dans la salle c'était la joie, l'émerveillement et l'admiration devant le geste somme toute assez dingue de Gints Zilbalodis, humble réalisateur sous la coupe du plus redoutable prédateur sur Terre. Flow a l'évidence d'un poème sans âge, qui se passe de mots pour mieux distiller sa magie. Il envoûte, il amuse, il laisse sans voix.
Ouhla, je crois que ça commence à faire effet sur moi. Je rentre chez moi prendre mon traitement. Et vite, pas que j'oublie l'horaire du repas où mon petit Félix va encore pisser sur mon oreiller.