Le monde se divise en deux catégories : ceux qui triment, et ceux qui dirigent. Ca dure depuis longtemps, pour ne pas dire depuis toujours, et Emile Zola l’a parfaitement compris. Le pire est que ça continue aujourd’hui, d’ailleurs j’ai retenu une bien amère constatation qui est dite dans le film : "Un monde nouveau va naître, mais les inégalités ne disparaîtront pas pour autant : il y aura toujours des gens plus intelligents que d’autres et qui s’engraisseront sur le dos des faibles". Il suffit de regarder autour de soi pour se rendre compte que ce n’est pas faux. Sauf qu’à l’époque où se situe "Germinal", il n’y avait pas tout le confort que nous avons aujourd’hui : pas de salle de bains, pas même d’eau courante, pas d’électricité, nous revoyons les lessiveuses, et j’en passe car la liste serait trop longue. "Germinal" nous permet de mesurer à quel point le fossé qui sépare les classes sociales est grand. D’un côté nous avons une société vivant dans le luxe et l’abondance voire l’opulence, de l’autre une société exploitée où la misère règne, véritable (je cite) "bagne de la faim et de la misère", amenant des arrangements par le biais entre autres du sexe jusqu'à la pédophilie. Ce contraste entre les deux mondes est bien mis en images à plusieurs reprises, notamment lors du passage sans transition entre le moment où on voit les mineurs coincés dans leurs galeries et le moment où un carrosse amène les nantis concédant enfin à apporter un peu d’humanité à cette femme qui paye un lourd tribut. Cette femme est Miou-Miou, interprétant une mère de sept enfants et qui fait ce qu’elle peut pour joindre les deux bouts. Mais l’actrice trouve trop vite ses limites, ayant un jeu par moments trop théâtral. Pire, elle ne sait même pas pleurer la perte des siens ; on sent que c’est forcé, et fait même penser au cri d’une poule lorsqu’elle perd son mari. Son mari est Gérard Depardieu, égal à lui-même, parfait dans ce personnage tranquille qui se laisse entraîner dans ce qu’on pourrait considérer comme le début du syndicalisme. Cette notion est amenée par Renaud, et ce rôle lui va bien car on sait à quel point cet artiste est engagé dans certaines de ses chansons. Renaud a indéniablement des qualités en art dramatique, mais il parait un peu trop timoré malgré son regard bleu acier. Ma mention spéciale va à Jean-Roger Milo, absolument superbe dans la peau de Chaval, ce personnage cabossé au comportement limite asocial, tiraillé par l’amour, la raison et le besoin de vivre. Nous avons droit à un casting prestigieux, en phase avec un roman tout aussi prestigieux. L’adaptation n’était pas chose aisée, mais il faut reconnaître qu’on ne peut être qu’excédé par le gouffre qui sépare le monde des travailleurs de celui du patronat. C’est en partie grâce aux décors, rendant compte à merveille de la difficulté quant aux conditions de travail, avec cette promiscuité, cette obscurité que seules les lampes, véritables (je cite) "soleil du mineur", parviennent tant bien que mal à combattre. Aussi je donne une autre mention spéciale aux chefs décorateurs, au même titre que les maquilleuses qui nous permettent de mesurer la pénibilité du travail au sein de la mine par le biais de cette crasse qui colle à la peau, ne laissant visible dans la pénombre que la blancheur des yeux et le rose des lèvres, trahissant l’importance de cette poussière invisible provoquée par l’extraction du charbon. Autant dire que la caméra de Claude Berri permet une bien jolie photographie. "Germinal" n’est pourtant pas sans défaut : ce film se perd parfois dans des sous-intrigues inutiles (la plus flagrante étant les frasques d’Anny Duperey), provoquant des longueurs fastidieuses. Pour que "Germinal" soit une merveille cinématographique, il manque quelque chose d’indéfinissable, peut-être de la spontanéité, et un meilleur rendu du climat de la grève, en résumé de l’intensité. Il n’empêche que "Germinal" reste un film à voir pour son caractère historique (balbutiement du régime spécial des mines avec cette création de la caisse de prévoyance/compensation, débuts du syndicalisme) et l’hommage rendu aux travailleurs dans les bassins miniers. En somme, pas exceptionnel, mais néanmoins incontournable.