Un témoignage précieux
C’est la 1ère réalisation de Simon Moutairou, pourtant bien connu pour certains de ses scénarii, La boite noire, Goliath, Burn out. 98 minutes âpres, violentes, parfois confuses mais qui ont le mérite d’exister. 1759. Isle de France - actuelle île Maurice -. Massamba et Mati, esclaves dans la plantation d’Eugène Larcenet, vivent dans la peur et le labeur. Lui rêve que sa fille soit affranchie, elle de quitter l’enfer vert de la canne à sucre. Une nuit, elle s’enfuit. Madame La Victoire, célèbre chasseuse d’esclaves, est engagée pour la traquer. Massamba n’a d’autre choix que de s’évader à son tour. Par cet acte, il devient un « marron », un fugitif qui rompt à jamais avec l’ordre colonial. A ma connaissance, c’est la 1ère fois que le cinéma français prend à bras le corps le sujet de son passé esclavagiste. Un film difficile et ambitieux dont je ne suis pas persuadé qu’il atteigne tous ses objectifs. Impression mitigée.
Depuis longtemps, Simon Moutairou savait que son 1er film parlerait de l’esclavage. Avec du recul, il a senti que cet appel venait de loin de son adolescence, profondément marquée par une vision : celle d’une immense porte de pierre rouge face à l’océan. Elle se dresse sur le rivage de la ville côtière de Ouidah, au Bénin, le pays de mon père. Elle se nomme La Porte du Non-Retour. C’est ici que des familles entières étaient arrachées au continent et déportées vers des horizons inconnus. C’est là qu’est né le désir d’un film sur des « marrons », ces esclaves fugitifs qui ont eu le courage de briser leurs chaînes. Ensuite, pour nourrir son scénario il a mêlé plus ou moins habilement, la fuite d’un esclave, la traque et le survival. Le problème, c’est que c’est parfois très confus, trop long ou répétitif, et donc manquant aussi de rythme. Reste que le film est remarquablement documenté, en particulier sur le personnage réel de Michelle-Christine Bulle – surnommée Madame la Victoire -, une femme considérée comme le plus grand chasseur d’esclaves de son époque. Elle chassait avec ses deux fils et terrifiait tous les esclaves de l’île et était si performante qu’elle recevait sa solde directement de la Couronne de France. Tout cela aurait pu être passionnant, sans cette caméra à l’épaule très fatigante, et ce désir de charger mystiquement les plans, créant ainsi une réalité quasi hallucinée… Et comme souvent, trop c’est trop.
Pour son 1er grand rôle, Ibrahima Mbaye Tchié crève l’écran. Il est l’âme et le moteur de ce drame. Une découverte. Anna Thiandoum, à la beauté remarquable, elle aussi, crève l’écran. A leurs côtés, les Camille Cottin, Benoit Magimel, Félix Lefebvre, Vassili Schneider, font le boulot courageusement, car rares sont les comédiens et les comédiennes qui acceptent des rôles d’anti-héros aussi marqués. Le souffle épique est là, le sujet bouleversant, l’émotion forte – en particulier dans l’ultime plan -… C’est donc au niveau de la forme que ce film pèche. Mais saluons-le car il ose aborder de front la question de l'esclavage, un vieil angle mort du cinéma français.