« Tell them Hercule Poirot is on the case. »
Après un très réussi Crime de l’Orient-Express (2017) et un Mort sur le Nil (2022) plus moyen, Kenneth Branagh poursuit ses adaptations des romans d’Agatha Christie pour ce Mystère à Venise (Haunting in Venice, adapté de La Fête du Potiron), porté par une distribution éclectique, comme fut celle des deux précédents volets des aventures d’Hercule Poirot. Outre lui-même jouant un détective belge blasé, insensible, voire misanthrope, on retrouve ainsi Kyle Allen, Camille Cottin, Jamie Dornan, une Tina Fey à contre-emploi des comédies parfois potaches qu’elle a interprétées ou écrites et une Michelle Yeoh toujours aussi fascinante.
La caméra de Branagh nous offre d’emblée une très belle plongée sur la lagune et la ville, évitant les clichés des amoureux et de la Place Saint-Marc pour privilégier ses canaux et placettes moins connus, ses ponts étroits, ses palais abandonnés et ses passages obscurs. Le décor est planté de manière telle qu’on y entre et qu’on veut voir la suite, dans une ambiance mélangeant contes horrifiques et fête des enfants.
En plans décadrés, profondeur de champ oblique, GoPro et effet œil de poisson (une mode mise ou remise au goût du jour par Yórgos Lánthimos), Kenneth Branagh réalisateur use de tous les artifices connus pour lentement faire apparaître la folie qui semble s’emparer du détective incarné par Kenneth Branagh acteur, jusqu’à la caméra à l’épaule lorsque l’affaire est enfin résolue, comme un retour à la réalité. La musique (talentueuse Hildur Guðnadóttir qui a notamment signé la BO du Joker de Todd Philips et de sa suite, 2019 et 2024) suit la même courbe, certes parasitée par un recours exagéré aux jumpscares sonores.
Au niveau du scénario, pas mal de changements ont été apportés à l’oeuvre originale, ne fût-ce qu’au niveau spatio-temporel, la semaine dans le manoir anglais se transformant en nuit dans un palazzo vénitien. Ces modifications opérées par Michael Green, déjà scénariste des deux précédents opus, ont été validées, nous apprend-on, par l’un des producteurs exécutifs, James Pritchard, arrière-petit-fils de la romancière anglaise. Quoi qu’il en soit, reprenant l’habitude du huis clos et de meurtres à résoudre avec un groupe où tout le monde est suspect, ce troisième volet des enquêtes du détective belge est beaucoup moins léger et frivole que les précédents, beaucoup plus sombre et aux frontières de l’horrifique. Il faut ainsi attendre la moitié du film pour que, le décor, l’ambiance et les personnages posés, l’enquête puisse commencer, avec de rares touches d’humour, comme si Hercule Poirot se réveillait d’un trop long sommeil pourtant choisi et assumé. On notera la partition impeccable d’un Kenneth Branagh qui a eu le temps de maturer son rôle depuis 6 ou 7 ans.
Au final, cette troisième adaptation (très libre) des œuvres d’Agatha Christie par Kenneth Branagh et Michael Green est sans doute la meilleure, en tout cas la plus immersive et la plus profonde. Une réussite.