Kenneth Branagh, malgré toute la passion dévorante qu'on sent dans ses adaptations littéraires (Poirot, Shakespeare, Shelley... le Monsieur adore d'un amour sincère les beaux livres), ne réussit pas cette fois à nous embarquer, après un train (L'Orient-Express) laborieux mais pas trop mal réalisé, un bateau (sur le Nil) très planplan mais avec un somptueux casting, ici sur une gondole qui prend la flotte dès le premier pont passé. Et on cherche encore le rapport (même fébrile) avec le Crime d'Halloween (une lecture que vous aurez le bon sens d'éviter, si vous voulez vous concentrer sur les meilleurs Agatha Christie, car ce roman possède un twist final très tiré par les cheveux : on ne vous le recommande pas franchement), tant rien ne semble en sortir des pages du livre. D'après le peu d'affection qu'on porte à l'ouvrage, ce n'est pas pour nous déplaire que Branagh décide de refaire complètement l'histoire (il a juste laissé la bassine à pommes flottantes, ça fait peu... Non ?), les personnages, le twist de fin... Mais pourquoi, dans ce cas, placarder jusque dans le générique qu'il est tiré de ce livre ? On se noie en même temps que la gondole, si l'on essaie de trouver un sens à cette mention de référence à un livre peu qualitatif (pas très apprécié de la communauté fan de Christie) pour un film qui ne lui ressemble en rien. Mais là n'est pas le seul grief qu'on a contre ce Mystère à Venise (on aurait aimé n'avoir que cela à dire, tant on apprécie les passionnés de livres et théâtre comme Branagh), car on plonge vite dans un rythme lent, une intrigue de fantômes mal exploitée (on ne comprend jamais si Poirot est censé croire à ses propres visions), manque de panache (aucune émotion, peu d'attachement aux personnages), une résolution finale décevante. La réalisation reste très bonne (le travail sur la lumière notamment), Kenneth Branagh continue de nous faire plaisir en Poirot (personne n'égalera jamais David Suchet, mais Branagh n'en a pas la prétention, et fait un élégant Poirot crédible), et le petit soupçon de fantastique est une originalité agréable pour changer du format d'enquête pure. On reconnait l'audace d'avoir essayé d'innover en mettant du fantastique, d'avoir pris pour base un roman nettement moins connu et apprécié de Christie (même si, au final, rien n'en est resté...), de laisser la porte ouverte pour des suites quand le précédent a été déficitaire... En bon gondolier, Branagh appuie fermement sur sa rame, pour pousser sa passion littéraire un peu plus loin, feignant de ne pas voir que son embarcation commence à prendre l'eau, et on sait déjà qu'on sera là, sur le quai, s'il arrive à rejoindre la terme ferme pour nous proposer un nouveau film.