Et si, être spectateur de cinéma c'était naviguer de corps en corps, à la recherche d'aventures. Ce n'est pas une idée nouvelle, mais ici dans ce film, ce voyage prend des allures de métempsychose inversée. David Locke, journaliste qui n'arrive plus, fait la rencontre d'un homme mystérieux dans un hôtel quelque part en Afrique Subsaharienne. Cet homme meurt aussi mystérieusement que son existence. Et plutôt que son âme prenne l'enveloppe de David Locke, c'est ce dernier qui lui prend sa "vie" sans trop qu'on sache porquoi. Le plaisir du spectateur c'est d'avancer sans savoir ce qui va arriver. On est surpris d'abord puis à mesure que l'intrigue se développe, on commence à faire des hypothèses sur ce qui va bien pouvoir arriver, on déchiffre les indices. Parfois on redoute la suite, sentant le danger, mais les mains devant les yeux, on ne peut s'empêcher d'y écarter les doigts, avide de curiosité. Être spectateur c'est aussi faire un pacte avec le héros. Quoi qu'il advienne, on doit accepter son destin. On souffre avec lui. On meurt avec lui. Comme le spectateur qui voudrait vivre le temps d'un film une romance, une guerre, une expédition et s'oublier - David Locke enfile les souliers d'un autre et marche droit vers l'inconnu. Sauf que chez Antonioni, le cinéma n'est pas qu'un spectacle. On ne s'y oublie pas, on se (re)trouve, où du moins on s'interroge sur nous même. A chaque pas, c'est son existence qui surgit. Voir son passé, c'est un peu se remettre en question. Les séries de flashback nous révèle non pas qui était le défunt, mais au contraire qui est David Locke. On y découvre un homme qui s'est fourvoyé, qui a perdu son ambition et qui est en train de perdre sa femme. Cet échange d'identité aurait pu être son salut, une manière de sortir la tête de l'eau. Mais un film ne dure pas toute la vie, quelques heures pour les plus longs. C'est un éphémère voyage sans retour, une ligne tracée. Il y rencontre une femme, aussi perdu que lui, heureux hasard un peu placé sur sa route quand même. Ils vivront une romance et s'enfuiront. Vers quoi ? On s'imagine une nouvelle vie ailleurs, romanesque. Et marchand d'arme? On est pas dans un film lui dit la femme. Pas l'idéal pour refaire sa vie d'ailleurs. C'est pourtant l'aventure qu'il a choisi malgré lui et il ira au bout. Cet homme mystérieux devait mourir, il mourra une deuxième fois. On ne contredit pas les dieux. David accepte, las de cette chimère qu'est la fuite. Pas plus de bonheur ici qu'ailleurs. Le Cinéma, cette belle illusion trop souvent romanesque, n'est pas un échappatoire, c'est un miroir sans tain.