Il est des films qui vont bien au-delà des images qui sont données à voir; "Profession: reporter" est de ceux-là; miracle de cette prolongation du film par un ensemble de mouvements intérieurs profonds qui balaient la critique souvent entendue "le cinéma, c'est bien mais on y est entièrement passif".
Dès l'entrée, on est pris comme dans un raz-de-marée au ralenti dont l'énorme vague n'en finirait pas de déferler: puissance méditative des images de cette Afrique au désert éternel dont le sable absorbe tout: les sons, les cris, les larmes, le sang. Le film va se dérouler au rythme lent d'une tragédie millénaire, celle de la recherche de sa véritable identité, de son moi profond. Journaliste en rupture de société, en rejet de son métier qui le contraint à des compromis voire des compromissions qui lui sont honteuses, Jack Nicholson campe bien son personnage mi-paumé mi-désabusé, en quête d'un sens à sa vie qu'il a perdu dans sa flatteuse carrière. Besoin de liberté, d'authenticité. Il va pour cela endosser une personnalité trouble et dangereuse et dans son errance rencontrera une jeune fille sans nom, sans passé apparent, sans amarres - excellente Maria Schneider, troublante de vérité et de sincérité, sans apprêt et sans fard, toute en regards retenus et pleins. Plus zen qu'un moine japonais, elle paraît pouvoir tout apaiser, tout résoudre, tout endurer: un genre d'éternel féminin dans un style taoïste - la femme est le ravin du monde".
Le film est d'une lenteur mesurée, conséquente; l'image est simple et belle, les acteurs économes aussi. Peu de paroles, pas de musique: une sorte de minimalisme mais jamais ennuyeux, une invite au contraire à aller voir soi-même où s'ancrent tous les non-dits, les non-vus de l’œuvre. Bien que le sujet soit âpre et d'une violence contenue, on distingue dans une certaine nonchalance omniprésente le souffle des années 70 et de leur soubassement quêteur de sens, coloration philosophies orientales. On est à mille lieues du ciné fast-food, du commercial, du superficiel mercantile.
Sous la lumière crue du Sud de l'Espagne, au rythme des vrombissements d'insectes et des jappements de chiens (en "off") , la scène finale est un bijou. Ellipse, dénouement, parabole, elle résume et sublime le film, instaurant la suprématie des coulisses sur la scène, de la profondeur sur le superficiel, du drame sur la comédie de la vie humaine. Film dans le film, sens dans le non-sens du monde - ce que précisément notre héros cherchait à fuir. Tout ce qui n'y est pas montré est soit suggéré par une bande-son porteuse de révélations, soit donné à penser au spectateur - décidément bien sollicité par ce film.
Une bien belle fable finalement sur la difficulté à être soi-même dans un monde de faux-semblants (la vraie fausse interview d'un dirigeant africain tyrannique mais d'une politesse très lissée est à ce titre très révélatrice). Bravo et merci pour tout cela, Maestro!