« Si t’avais un petit peu d’amour pour moi tu ne m’aurais jamais laissé te traiter comme ça. Tu ne dois vraiment pas m’aimer beaucoup pour m’avoir laissé devenir ce monstre. »
A l’heure où la représentation inclusive est, à juste raison, un thème qui bouleverse le cinéma (et pourrait le bousculer encore un peu plus), je m’interroge quant à la surreprésentation des profs de français dans les films. Qu’en est-il des profs de math, de physique-chimie, de sport ? Ainsi, le personnage de Blanche, interprété par Virginie Efira tout comme sa jumelle Rose, est-elle une prof de français. Si je me pose cette question en regardant le début de L’Amour et les Forêts, c’est parce que je suis devenu moi-même professeur de français grâce au cinéma (en particulier le film P.R.O.F.S, Patrick Schulmann, 1985, merci de ne pas glousser) et que les vingt premières minutes sont ici insupportables de gnangnanterie, sans doute pour mieux ancrer le propos d’une descente au enfers qui part de très haut, depuis l’image de la perfection du couple amoureux, tendance Collection Harlequin, voire encore au-delà avec la petite chanson qui va bien. On sent par ailleurs l’influence du cinéma des années ’60/’70, Nouvelle Vague et Jacques Demy, jusque dans le grain et les poussières accrochées au cadre de la caméra (effet voulu?).
Passé la demi-heure, l’interprétation couplée de Virginie Efira et Melvil Poupaud finit par séduire et colle parfaitement bien aux dialogues entrecoupés
qui amorcent et décrivent méthodiquement le mécanisme central de l’histoire, fait de mensonges, d’isolement, de persuasion et de retournements de charge. Si j’essaie toujours d’extraire la phrase la plus percutante d’un film pour la poser en exergue, je dois reconnaître que l’exercice s’est ici révélé des plus difficiles, tant il y a de bouts de tirades qui rendent parfaitement bien compte de la perversion du manipulateur narcissique. « Regarde dans quel état tu me mets. »
Peu à peu, l’image change aussi et se fait plus prégnante, plus en adéquation avec le déroulement des événements, comme si le voile initial avait fini par se déchirer tout à fait pour montrer la réalité crue
d’une emprise qui se construit comme une toile d’araignée au fil des ans
. On découvre alors une autre réalisation de la part de Valérie Donzelli, beaucoup plus subtile et recherchée, plus innovante aussi, notamment dans son jeu de lumières et, en mélangeant plongées et contre-plongées, la place donnée à l’espace intérieur, grand à force de vide, du domicile conjugal, ou bien encore par l’exacerbation de certains bruits pour souligner l’étouffement ou, enfin, pour le plan séquence final parfait.
Si Melvil Poupaud est excellent en pervers glaçant et méthodique, Virginie Efira irradie littéralement dans un rôle difficile, particulièrement casse-gueule, époustouflante de vérité et de dignité. Enfin, malgré un début déroutant de mièvrerie, sans doute voulu, Valérie Donzelli méritait, par sa maîtrise d’une narration visuelle crescendo, de figurer elle aussi en tant que nominée meilleure réalisatrice aux Césars 2024 pour un film fort et d’utilité publique.