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Dans ce film, Valérie Donzelli se situe à l’interstice d’Hitchcock et de Rohmer. « Il suffit qu’on t’aime pour que tu aimes » dira très vite sa sœur jumelle à Blanche, sous forme de taquinerie légère, mais qui vient dire beaucoup sur ce qui s’apparente à une prédisposition psychoaffective, un manque d’estime de soi, qui va plonger Blanche dans les ténèbres. Même si à un moment, dans la forêt, il y a toujours une lumière qui apparaît.
Une lumière amoureuse dans l’œil de Grégoire dans le début de cette histoire d’amour aux atours balbutiants classiques. Pour autant, en contraste, très certainement voulu par la réalisatrice, dans le regard de cet homme, quelque chose de noir, d’inquiétant semble en latence. La perversion va s’installer subrepticement, et c’est tout son mécanisme qui va être disséqué avec la puissance filmique que l’on connaît à Valérie Donzelli. L’isolement de Blanche, l’installation de la dépendance affective, le fait de dénier l’unicité de Blanche, avec peut-être la plus terrible des tortures mentales : entretenir l’espoir que ça va s’arranger, alors qu’elle est en train d’agoniser. C’est le sourire du bourreau.
La faute sera systématiquement ramenée à Blanche, allant jusqu’à la faire douter, dans une situation psychiquement quasi inextricable. La monstruosité des violences psychologiques, sans besoin qu’un coup ne soit forcément asséné pour faire au moins autant de dégâts, est déployée avec une glaçante authenticité. Tout est dans cette autre phrase clé de Grégoire qui fait pousser des hauts le cœur dans la salle : « Si tu m’aimais vraiment, tu ne m’aurais jamais laissé devenir comme ça… «
La photographie, le grain de l’image sont savamment millimétrés et changeants pour alterner les émotions et entrer dans les paradoxes envahissants de la femme mutilée affectivement. La réussite totale de ce thriller affectif et psychologique repose aussi tellement sur un casting pleinement engagé, habité. C’est le cas de Melvil Poupaud, qui est ici effrayant de talent. Oui, même l’amoureux Lamoureux (son nom de famille dans le film !!), s’il donne le sentiment, prince trop charmant, de se donner à son adoré, porte déjà en lui, au fond des yeux l’impalpable de la noirceur. Et alors, quand son personnage donne la pleine mesure de sa folie, il est comme le voulait l’acteur, et d’autres illustres avant lui, qui lui ont servi de modèle : « un vrai salopard de cinéma « . Demain, Melvil Poupaud dans ce rôle, sera le modèle pour les suivants.
Virginie Efira, comme le dit sa réalisatrice, quoi qu’elle fasse, on l’aime. Là où l’actrice réussit à nous toucher, c’est sur l’absence de binarité, de manichéisme dans son jeu. Elle n’est pas qu’une oie blanche qui se fait dévorer. Elle doute, espère et apporte à son personnage une complexité, une subtilité qui crée une profonde empathie et nous la rend indispensable dans ce film comme partout où elle passe. Elle est par ailleurs entourée, protégée par des grandes actrices, simplement de passages, comme autant de fées devant et derrière la caméra, Romane Bohringer ou Virginie Ledoyen, pour ne citer qu’elles.
La résonance personnelle de la réalisatrice sur son sujet devient très vite la nôtre. Si on sort profondément marqués de la salle obscure, on a aussi envie d’aimer, car oui la lumière perce la forêt, et on dit merci Valérie pour ce grand cadeau de cinéma.