Valérie Donzelli adapte un roman d’Eric Reinhardt (que je n’ai pas lu mais je retiens ce nom) qui pourrait être une sorte de préquel au formidable «Jusqu’à la Garde ». Si le film semble long, ce n’est pas à cause de la réalisation qui est très appliquée et qui fourmille de petites idées intéressantes. C’est juste que le spectateur se retrouve au milieu d’une spirale très anxiogène qui lui fait redouter le pire à maintes reprises. Le film est une sorte de grand flash back, première bonne idée : Blanche raconte son histoire dans le détail, à qui ? Le scénario nous le révèle dans les 10 dernières minutes. Est-elle devant un juge, un policier, un médecin ? Le suspens est bien maintenu jusqu’à la fin, même si au final ce n’est pas une énorme surprise. Valérie Donzelli filme les corps au plus près, utilise la hors champs, elle utilise des filtres de couleurs comme pour accentuer certaines scène, ou pour « colorer » certains personnages comme les jumelles au début quand elles parlent tour à tour a leur mère. Il y a donc un gros travail sur l’image mais aussi, je dirais même surtout, un gros travail sur le son. Plus on avance dans le film, plus la musique de Gabriel Yared se fait discrète au profit de l’aspect anxiogène du son : une sonnerie de téléphone qui crie, un portable qui vibre et vibre encore, des pas dans un couloir, une portière de voiture qui claque, on est à l’affut de tous les sons, comme Blanche, car tous les sons proviennent de Grégoire et sont source d’angoisse croissante. Utiliser le son et le hors champs (scène de fin, ou Virginie Efira est magnifique) pour créer la tension n’est pas nouveau mais dans une salle de cinéma, avec un beau son, ça fait très bien son effet. Le film fait des ellipses de temps car il couvre environ 10 ans de vie commune, de la rencontre au dénouement. Je ne connais pas le roman d’Eric Reinhardt, mais si le film lui est fidèle, alors il décrit par le menu et de façon très forte le phénomène d’emprise dans lequel Blanche de retrouve. C’est désormais bien connu,
ça commence par des petits riens, des petits mensonges, et puis Blanche se retrouve enceinte, elle doit insister pour retravailler, son téléphone sonne sans cesse, les relevés bancaires sont épluchés. Grégoire la coupe de sa famille géographiquement puis dénigre ses collègues et amis, lui fait des petites remarques blessantes puis les choses empirent peu à peu. Chantage affectif, menace à peine voilée puis crise de jalousie épouvantable, torture psychologique (chantage au sommeil), la graduation est telle que tout cela ne peut que très mal finir. En même temps Blanche ne parle pas, ni à ses collègues, ni à sa sœur, ni à sa mère et lorsqu’elle trouvera la force de le faire, c’est à demi-mot et à un inconnu.
« L’Amour et les Forêt » est un film qui illustre bien le phénomène des crimes conjugaux, les féminicides que l’ont voit trop souvent dans les médias et que l‘on ne peut sans doute pas bien comprendre de l’extérieur : « Mais pourquoi ne l’a-t-elle pas quitté ? » se dit-on souvent, comme si c’était si simple… Le casting se résume essentiellement à Virginie Efira et Melvil Poupaud, les seconds rôles tenus par Romane Bohringer ou Virginie Ledoyen étant presque anecdotiques. Virginie Efira, qui joue Blanche et Rose, compose deux sœurs très différentes. Rose, on la verra peu, elle est solaire, volubile, entreprenante, tout ce que Blanche n’est pas. Plus intellectuelle (elle est prof de français et elle a chez elle une immense bibliothèque magnifique), peu sure d’elle en dehors de sa vie professionnelle, avide de se sentir aimée, orpheline de père (et ça ne doit pas compter pour rien), elle est une victime parfaite pour un Grégoire effrayant. Efira est magnifique, comme toujours, jusque dans la toute dernière scène qui s’étire et qui pourrait à elle seule illustrer tout le film. Quant à Melvil Poupaud, il est aussi séduisant avec le monde extérieur que dangereux avec sa femme, possessif jusqu’à l’absurde :
certaines de ses répliques sont hallucinantes, et pourtant je parie qu’elles sont réalistes. La façon qu’il a de systématiquement rejeter ses propres fautes sur elle, parfois au prix de pirouettes sémantiques, c’est confondant.
« L’Amour et les Forêts » est une réussite, dans la forme comme sur le fond, on pourrait aller jusqu’à qualifier le film « d’utilité publique ».