Adapté du roman d’Éric Reinhardt, L’Amour et les forêts compose une forme esthétique unique, faisant ainsi œuvre de cinéma et non reportage sur les violences conjugales, à même de traiter un sujet difficile qui advient et s’accomplit par elle. La beauté des plans, résultat du choix de la pellicule, d’un cadrage précis mobilisant le flou avec intelligence et d’une colorimétrie tour à tour naturaliste et pop, exprime la beauté intérieure de cette femme tourmentée et celle, extérieure, des paysages qui l’environnent, dans lesquelles elle évolue : la Normandie d’abord, avec ses vues sur une mer qui tout au loin rencontre le ciel bleu, les forêts proches de Metz ensuite, symbole de l’enferment de Blanche qui délaisse l’espace horizontal (dessiné par la ligne de la mer) pour se retrouver segmentée dans un espace vertical, scandé par les arbres. La maison, d’ailleurs, est tout en hauteur, et la caméra s’attarde sur les montées et les descentes des pieds et des jambes ; son papier peint, aux motifs floraux désuets, inscrit les personnages dans un cadre figé qui les écrase et permet brillamment d’inscrire dans la durée la paranoïa de Grégoire.
Valérie Donzelli accorde une attention particulière au morcellement de l’identité, en installant une série de doubles qui apparaissent comme autant d’avatars possibles du couple principal : le mari s’approprie l’étreinte vécue par sa femme avec l’homme des bois, avant d’être disqualifié par la gentillesse du beau-frère et de l’interne ; à l’inverse, Blanche a une sœur jumelle à qui elle finit par se confier. Ce jeu par miroirs déformants, qui ouvrent sur l’idée essentielle d’alternative à la violence, renvoie évidemment à la perte de contrôle de Greg qui affirme ne plus se reconnaître, jusqu’à ce plan terrifiant sur lui se voyant piégé dans les glaces de la coiffeuse d’enfance ; ainsi, la cinéaste dépeint la violence non comme une fatalité inhérente au masculin mais sous les traits d’un engrenage. Il est encadré par les questions de celle qui se révélera être avocate – sa profession demeure longtemps cachée, incarnation de cette mise à l’épreuve identitaire vécue par la victime.
L’Amour et les forêts consacre Valérie Donzelli cinéaste : elle acquiert ici une maturité qui lui faisait défaut dans ses premiers films, une maîtrise esthétique au service d’un scénario rigoureux. Peut-être lui fallait-il ce décentrement, après un premier long métrage (trop) personnel, pour atteindre, par l’universalité du combat représenté, son expression artistique la plus aboutie. Un chef d’œuvre incarné par deux remarquables comédiens : Melvil Poupaud et Virginie Efira.