Léa Domenach a essayé de proposer le film le plus moderne possible sur ce sujet : montage nerveux, humour façon « scud », bande originale décalée, elle mise beaucoup sur des petites originalités de mise en scène. Par exemple, elle fait chanter le générique de début, le générique de fin et quelques interludes par une chorale de gospel tout en sous-titrant (elle a du avoir peur qu’on ne comprenne pas les paroles) dans une police proche du gothique. Sans ces petites trouvailles de rien du tout, son film aurait été moins décalé, et donc moins drôle, et donc moins réussi qu’il ne l’est. Sur 90 minutes, elle nous raconte la vie à l’Elysée de Bernadette entre 1995 et 2007, en appuyant sur quelques dates clefs de la vie publique française : la victoire de 95, la dissolution, le jour de la mort de Lady Diana, les pièces jaunes, la finale de la Coupe du Monde, le funeste avril 2002, les ennuis judicaires du couple et la campagne Sarko 2007. Et puis Léa Domenach évoque aussi les évènements plus privés de cette période, comme l’AVC du Président que beaucoup de gens ont sans doute publié aujourd’hui. A la réalisation comme au scénario, la fille du journaliste politique Nicolas Domenach (probablement très bien informé) ne pouvait pas passer sous silence le grand tabou de la famille Chirac : la maladie de leur fille ainée. Ces scènes avec Laurence sont assez douloureuses, elles dénotent au milieu d’un film qui fleure bon la comédie vacharde. Parce que oui, ce film est drôle et il est aussi féroce. Au travers du portrait de Bernadette d’abord, que le film essaie de rendre sympathique sans toutefois y parvenir tout à fait :
« Chez les Chaudron de Courcel on n’embrasse pas, question d’hygiène sociale », cette simple réplique de fin annihile tous les efforts qui la précède !
Catherine Deneuve, impeccable (dont le pouvoir comique aura été longtemps ignoré du cinéma français) lui donne corps sans la singer. Pareil pour Michel Vuillermoz en Jacques Chirac, misogyne d’un autre âge, méprisant et sans grande délicatesse avec son épouse, il est assez bluffant. Et puis Sara Giraudeau, avec sa petite voix fluette, incarne une Claude Chirac omniprésente et dure, parfaite fille de son père, et bizarrement ça le fait. Autour de ce trio, le reste de la famille politique de droite est traité à l’acide sulfurique ! Personne n’en sortira indemne, ni Dominique de Villepin (aussi médiocre qu’arrogant), ni Nicolas Sarkozy (très bien singé par Laurent Stocker), ni Xavier Bertrand, ni tous ces « cadors » que le film n’a même pas besoin de nommer pour qu’on les reconnaisse ! C’est un peu le sel des films « a clefs » : mettre des noms sur des personnages ici on reconnaitra pêle-mêle les « 2 be 3 », David Douillet, Doc Gyneco et autres Karl Lagerfeld (auteur d’une des plus belle punch line du film !). Peu importe la ressemblance pointue au physique ou pas, pour que le film fonctionne il n’est nul besoin de sosies.
Reste qu’il a y a un grand absent : la Gauche. Comme pour « La Conquête », la France de « Bernadette » est totalement hémiplégique ! Pas même un Hollande élu de Corrèze ou un Jospin premier ministre de cohabitation, la Gauche, ils en en parlent (un peu) mais on ne la voit jamais.
Le scénario de « Bernadette » insiste sur la femme politique sous-estimée qu’elle était, reléguée au rang d’épouse faire valoir parce que petit a, élevée comme telle dans son milieu d’origine, petit b, épouse d’un homme fort ambitieux qui refuse de lui laisser la moindre place, et petit c, parce qu’en 1995, les femmes politique sont encore très rares aux plus hautes fonctions (pour peu que cela ait évolué depuis…). Le film de Léa Domenach est un portrait drôle (franchement très drôle par moment, je le reconnais volontiers) mais au final assez féroce. Elle non plus ne sort pas si grandie que cela du film,
quand elle va négocier l’amnistie de ses problèmes judiciaires contre son soutient à Sarkozy, quand elle promet une ligne TGV qui n’a aucune chance de voir le jour,
elle se semble pas s’intéresser à autre chose qu’à son clan, quoi qu’on en dise. Sa popularité est un trompe l’œil, et la famille Chirac, qui visiblement n’est pas enchantée par le film, l’a bien compris. Même si elle se cache pudiquement derrière la barrière de la fiction, les scénaristes de « Bernadette » visent juste avec certains de leurs « scuds », ça tire dans les coins et ça n’épargne pas grand monde du côté « tribord » de l’échiquier politique.